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le masque de l’hypocrisie. Déçus eux-mêmes de très bonne foi, les chapelains induisirent donc en erreur le gouvernement sur le compte de plus d’un malfaiteur qui leur semblait amendé. D’ailleurs ce qu’on appelle la bonne conduite dans les prisons ne prouve point toujours en faveur d’une véritable conversion morale. Il existe en Angleterre une classe de voleurs qui passent un cinquième de leur vie-sous les verrous. On leur a donné le nom significatif de vieux oiseaux de prison, old gaol-birds, et ils ne détestent point leur cage[1]. Se regardant en quelque sorte comme chez eux, les criminels les plus incorrigibles sont souvent les mêmes qui se soumettent et se conforment le mieux à la discipline du régime pénitentiaire. Aussi plusieurs d’entre ces oiseaux madrés trouvèrent-ils sous le nouvel ordre de choses le secret de se procurer la clé des champs. On ne tarda point à s’apercevoir que la différence est grande entre un bon prisonnier et un honnête homme. La plupart des repris de justice sont après tout des aveugles, qui ne savaient déjà point se conduire eux-mêmes dans le monde ; est-ce donc la captivité qui peut leur avoir appris à faire un meilleur usage de leur libre arbitre ? Du 1er octobre 1853 jusqu’au 31 mars 1861, c’est-à-dire durant les sept années et demie où le système du ticket of leave fut le plus en vigueur, on accorda 9,180 congés, sur lesquels 384 ont été révoqués pour mauvaise conduite, et 1,030 autres n’ont point empêché ceux qui les avaient obtenus d’être condamnés pour de nouveaux crimes. Ne faut-il point aussi tenir compte des dangers auxquels le convict est exposé après sa sortie de prison ? Le ticket of leave dans sa poche, il se trouve isolé dans la ville qu’il a choisie pour sa résidence, ou, ce qui est encore bien plus dangereux pour lui, entouré des mauvais conseils de ses anciens complices. Les tentations du besoin s’accroissent avec la répugnance qu’il inspire, et la difficulté qu’il rencontre à gagner sa vie. Pour résister à tant de causes de rechute, ce ne serait point trop d’une vertu ancienne et robuste qu’attendre d’une conscience replâtrée ? Le ticket-of-leave-man est le Jean Valjean de l’Angleterre ; le roman[2] et le théâtre se sont disputé à l’envi depuis quelques années ce type tout moderne et bien digne à coup sûr d’exciter un vif intérêt.

Comment se conduit la police à l’égard de ces forçats qui ont été libérés en vertu d’une tolérance particulière de la loi ? Dans les commencemens, une des conditions de la grâce accordée au

  1. /Un détenu disait un jour d’un de ses camarades qui allait être réincarcéré : « Voici l’enfant prodigue qui revient à la maison paternelle ; nous devrions tuer le veau maigre en son honneur. »
  2. Never too late to mend, par M. Charles Reade.