Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/714

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

verrous, il n’est même point du tout nécessaire qu’il commette un nouveau délit ; il suffit en principe qu’il s’associe avec des camarades d’un caractère douteux, qu’il mène une vie oisive et dissolue, et qu’il ne puisse justifier de ses moyens d’existence. Cette liberté est certes bien précaire ; à chaque moment, elle court risque d’être rayée d’un trait de plume. Eh bien ! le croirait-on ? c’est la fragilité même d’une telle permission de congé qui contribue en plus d’un cas à entourer le ticket-of-leave-man d’une trop grande tolérance. Pour se rendre compte d’une telle contradiction apparente, il faut bien connaître les mœurs politiques des Anglais. Le secrétaire d’état, on l’a vu, se trouve investi d’une sorte de dictature vis-à-vis des convicts libérés avant l’expiration de leur temps : est-il à craindre qu’il abuse de ce pouvoir arbitraire ? Beaucoup savent très bien qu’il hésite au contraire à s’en servir, précisément à cause de l’étendue de la responsabilité. De tels coups d’état administratifs répugnent toujours au caractère de nos voisins. L’accusé sur lequel la police a fourni de mauvaises notes est jugé, lui absent, et à huis clos : or ce n’est point en Angleterre qu’on condamne volontiers un homme sans l’entendre, cet homme fût-il même un forçai Aussi par le fait ce pardon conditionnel équivaut-il la plupart du temps à une grâce pleine et entière, free pardon.

Au fond, le succès de cette expérience délicate dépendait tout entier de la valeur du système pénitentiaire. Est-il possible de changer les hommes, et existe-t-il des moyens pour convertir un criminel en un citoyen utile ? Telles sont les deux questions qu’il s’agissait surtout de résoudre. On se hâta de s’adresser à la physiologie, à la religion, à la science des moralistes ; mais la vérité est que les obstacles opposés par les colonies au système de transportation vinrent surprendre l’Angleterre dans un moment où elle n’était nullement préparée à une œuvre de réforme bien difficile. La surveillance des prisons était alors confiée à sir Joshua Jebb, esprit éclairé qui adopta les vues du gouvernement. Pour que le nouveau système portât de bons fruits, il fallait avant tout que l’amendement du détenu fût une vérité et non une fausse apparence. Voulant s’éclairer à cet égard, l’autorité comptait beaucoup sur le concours des chapelains chargés dans les prisons de la conduite des âmes. La plupart d’entre eux sont à coup sûr des fonctionnaires honorables et dignes de confiance ; mais ce sont peut-être aussi les plus faciles de tous à tromper. Le prisonnier doué d’une mémoire heureuse qui pouvait réciter devant eux de longs passages de la Bible, qui affectait des airs de repentir et recevait le sacrement de l’église protestante, était à peu près certain d’obtenir sa grâce. Le plus souvent cet homme trouvait en cela le moyen d’ajouter au crime la seule chose qui puisse l’enlaidir, —