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naux s’y rendirent avec leurs collègues, ainsi qu’il avait été convenu. Rien de moins assuré que leur contenance. « On peut facilement imaginer, dit le plus brave d’entre eux, le cardinal Consalvi, de quel cœur nous attendions, dans la grande salle où se trouvaient réunis cardinaux, ministres, évêques, le sénat, le corps législatif, les magistrats, les dames de la cour et tous les fonctionnaires de l’empire, le moment de voir l’empereur et d’en être vus. » Tout à coup, après trois heures d’antichambre, une porte s’ouvre, et paraît un aide-de-camp apportant l’ordre aux cardinaux qui n’avaient pas assisté au mariage religieux de partir sur-le-champ, parce que sa majesté ne voulait pas les recevoir. Qu’on juge de l’effet et de l’étonnement de toutes les personnes présentes ! Les unes entendirent l’ordre lui-même, les autres virent avec non moins de surprise ces graves personnages, que leur costume rouge désignait à tous les yeux, se retirer avec un manifeste embarras et traverser non sans peine les salons encombrés pour aller regagner leurs voitures. Cependant les cardinaux qui avaient assisté au mariage religieux étaient restés. Quand ils défilèrent un à un, l’empereur, debout devant son trône, lança les apostrophes les plus terribles contre les cardinaux expulsés. Ses invectives tombèrent principalement sur les cardinaux Oppizzoni et Consalvi. Il reprochait au premier son ingratitude, parce qu’il lui avait donné l’évêché de Bologne et le chapeau de cardinal; mais c’était surtout contre l’ancien secrétaire d’état de Pie VII que s’exhala son courroux. « Il était plus coupable que tous ses collègues. Les autres sont peut-être excusables, disait avec colère Napoléon, à cause de leurs préjugés théologiques. Il m’a offensé, lui, par principes politiques. Il est mon ennemi. Il veut se venger de ce que je l’ai renversé du ministère. Pour cela, il a osé me tendre un piège profondément médité en présentant contre ma dynastie un prétexte d’illégitimité, prétexte dont mes ennemis ne manqueront pas de se servir quand ma mort aura dissipé la crainte qui les comprime aujourd’hui. » Nous croyons que Consalvi se trompe quand il ajoute que ce fut un miracle, s’il ne fut pas alors fusillé ainsi qu’Oppizzoni et un troisième cardinal, probablement di Pietro, car dans sa première fureur l’empereur en aurait donné l’ordre, et peut-être s’exagère-t-il la bienveillance de son singulier ami, le ministre de la police, lorsqu’il suppose que dans cette circonstance la suprême adresse de Fouché lui sauva la vie. Napoléon, fort capable d’avoir articulé de semblables menaces, ne songea certainement pas à les exécuter. La scène étrange qu’il s’était donné le plaisir d’arranger avec tant d’éclat devant toute sa cour n’était d’ailleurs que le premier acte de sa vengeance, très froidement et très mûrement calculée. Dès le jour même, il écrivait en effet à son ministre des cultes : « Plusieurs