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favorisé le développement de cette industrie : la femme qui veut faire surveiller son mari, le mari qui veut faire suivre sa femme, sont autant d’excellentes pratiques dont l’agent privé exploite à son profit la bonne ou la mauvais fortune. Beaucoup de solicitors (avoués) entretiennent aussi à leurs frais ou plutôt aux frais de leurs cliens un de ces indicateurs. S’agit-il par exemple d’instruire un procès, les deux attorneys, celui de la partie lésée et surtout celui de l’accusé, ont souvent besoin de pénétrer certains mystères, et, pour dissiper les ténèbres de l’affaire confiée à leurs soins, font de temps ; en temps appel à l’expérience et aux lumières de quelque habile private detective. Ce braconnier chassant sur leurs terres est assez mal regardé, je l’avoue, des hommes de la vraie police ; ils lui reprochent de faire une sale besogne, dirty work, d’entamer trop souvent pour des motifs intéressés un ordre de recherches dont l’administration ne consentirait point à se charger[1]. Il arrive pourtant en certain cas qu’un. Officier de sir Richard Mayne utilise les services de quelque espion étranger à la police métropolitaine, mais c’est alors sous sa responsabilité. L’agent en titre serait censuré, si la conduite de L’auxiliaire qu’il emploie donnait lieu à de graves reproches. Il en est de même des femmes, female detectives, que l’autorité n’engage jamais directement, quoiqu’elles jouent un assez grand rôle dans l’investigation du mal et la poursuite des criminels. Le subalterne qui les occupe les paie lui-même, et l’administration, du moins en apparence, n’a rien à faire avec elles. De tels instrumens du système détectif figurent ensuite à titre de témoins dans le procès en vue duquel on a retenu leur ministère secret.

La découverte des crimes constitue une véritable science qui a des règles et des principes infaillibles. Un de ses axiomes est qu’il ne faut jamais négliger aucun indice, ou, selon l’expression d’un habile detective, « qu’il n’y a point de petites circonstances. » Un Écossais qui avait commis un faux défiait depuis quelque temps toutes les recherches de la police. On parvint néanmoins à découvrir un hôtel de Londres dans lequel il avait niché une nuit, mais dont il s’était envolé le lendemain sans dire où il allait et sans laisser aucun vestige de son passage. Les garçons de service interrogés ne savaient rien du voyageur ; l’un d’eux se souvint pourtant qu’à déjeuner l’inconnu, en écrivant des notes sur un calepin, avait cassé son porte-crayon en or, ce dont il paraissait très contrarié. Pour tout autre que pour un initié aux mystères de l’art, un tel fait eût

  1. Un inspecteur retraité, s’étant attaché à un bureau de recherches secrètes, fut blâmé par les autorités de Scotland-Yard et menacé de perdre sa pension.