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qu’un des deux mécanismes du système : il en est un autre qui répond aux besoins d’un service secret. J’avoue que ce nom même semble guère justifié en Angleterre. L’objet d’une telle annexe de la police, ce qu’elle est entre les mains de l’état, ce qu’elle coûte, tout est connu et soumis chaque jour à la grande lumière de la publicité ; il n’y a d’occulte que l’ensemble des moyens dont elle se sert pour arriver à la découverte des crimes.


II

S’il est un pays où il semble à première vue que beaucoup de malfaiteurs doivent échapper aux châtimens de la loi, c’est à coup sûr l’Angleterre. D’abord, comme on l’a dit dans une précédente étude[1], il n’y a pas de ministère public. La liberté personnelle est d’un autre côté entourée de garanties qui paraissent défier certaines recherches des agens de l’autorité. Tout homme peut descendre dans un hôtel sans donner son nom ; nul n’a le droit de lui demander qui il est, d’où il vient, où il va. Il n’existe ni passeports, ni livrets d’ouvrier, ni feuilles de route, autant de servitudes auxquelles ne voudrait jamais se soumettre le dernier des Anglais. Les maisons particulières n’ont point de portier ; chacun sort de chez lui et y rentre aux heures qu’il veut, au moyen d’un passe-partout (latch-key) qui pour certains locataires a du moins le mérite de la discrétion. Comme les Anglais parlent généralement peu de leurs affaires, le silence ne saurait donner lieu, de la part d’un voyageur ou d’un pensionnaire de lodging house, à aucun soupçon défavorable. Les monts-de-piété étant des boutiques de prêteurs sur gage (pawn-brokers) tout à fait indépendantes du gouvernement, chacun peut y déposer un objet quelconque en donnant un faux nom et recevoir sans autre formalité la valeur du nantissement. Les actes de la vie privée ne sont soumis à aucun contrôle tant qu’ils ne donnent lieu à aucune plainte, et les étrangers jouissent sous ce rapport des mêmes privilèges que les régnicoles. Il faut aussi tenir compte de la configuration géographique de la Grande-Bretagne, tenant partout à la mer, de ses relations de commerce avec le monde, entier, des innombrables vaisseaux partant chaque jour de ses docks. Il arrive souvent de croire en Australie ou dans la Nouvelle-Zélande un homme qui n’a point quitté la ville de Londres, et tout au contraire de chercher au cœur de la capitale un oiseau suspect qui a déjà pris son envol pour l’Amérique. En dépit de tous ces obstacles, le nombre des criminels déjouant les recherches de la police est

  1. Voyez la Revue du 1er février 1868.