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100 sergens et 20 inspecteurs. Nul ne songe à blâmer le gouvernement anglais de cet accroissement de la force publique ; quelques esprits ombrageux craignent seulement qu’il ne profite de cette circonstance pour étendre les pouvoirs de la police et pour altérer l’esprit de l’institution. Certes si, grâce à la terreur qu’ils inspirent, les fenians réussissaient à convertir un admirable service de sûreté générale en un système d’espionnage et d’intimidation, cette vengeance serait une des plus terribles qu’ils pussent infliger à leurs ennemis. Il n’y a pourtant guère lieu de s’effrayer : les Anglais tiennent trop à avoir sous leur main l’administration de la loi pour que l’exercice de la répression ne rencontre à chaque instant une limite dans la publicité, les institutions établies et ce sentiment de liberté personnelle qui est la meilleure des garanties. L’alarme excitée par les attaques des fenians a d’ailleurs donné lieu à une autre mesure qui explique bien la nature et le caractère tout social de la police chez nos voisins. Le gouvernement anglais a fait appel aux constables volontaires, et 113,674 répondirent en prêtant serment. Ces special constables, comme on les appelle, ne diffèrent guère des agens de l’autorité (regular constables) qu’en ce qu’ils ne portent point d’uniforme et ne reçoivent point de solde. Tant que dure leur mandat, ils jouissent des mêmes pouvoirs que les vrais policemen, et l’un d’entre eux l’a bien prouvé en arrêtant tout dernièrement un voleur qui s’était introduit dans une maison. Il faut qu’un gouvernement soit bien fort pour confier ainsi au premier citoyen venu, sous la foi du serment, une des armes dont les pouvoirs absolus se montrent le plus jaloux, et par gouvernement fort je n’entends point ici un régime entouré de soldats et de lois contre la presse ; non, j’ai en vue une autorité morale qui s’appuie sur la confiance publique.

Il y a vraiment lieu d’être surpris de l’influence qu’exerce sur toutes les classes de la population anglaise la vue du policeman. Est-ce l’uniforme, le bâton, le brassard, signe de son heure d’autorité, qui inspire aux plus déterminés et aux moins scrupuleux un vague sentiment de respect ? Il peut y avoir de tout cela, mais il y a aussi autre chose : il est le représentant de la conscience sociale, et il n’intervient guère que dans les cas où la sécurité de chacun exige l’exercice de ses fonctions. S’agit-il de démonstrations populaires autorisées par la loi, il disparaît de la scène, tout en se tenant prêt à agir, si par hasard ces mouvemens de la foule dégénéraient en désordres et en voies de fait. Quand l’occasion le réclame, il paie bravement de sa personne. Son caractère est-il méconnu des hommes qui lui résistent, il fait appel à sa force herculéenne. Si robuste que soit la constitution physique du constable, elle s’altère nécessairement avec le progrès de l’âge et les dures épreuves du