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avec cette différence qu’il trouve quelquefois le secret d’être logé gratis. Certains propriétaires de maisons à louer s’adressent à la station de police pour avoir un agent marié qui occupe pendant quelque temps le bâtiment vide, et dont la femme se charge de le montrer aux visiteurs. Quelques vieilles rentières aiment aussi à céder gratuitement dans leur habitation un logement à un ménage de constable ; elles croient que l’habit bleu fait peur aux voleurs, et s’imaginent installer ainsi chez elles la protection du gouvernement. Il semble d’ailleurs que l’autorité approuve l’état matrimonial en ce qui concerne les gardiens de la ville, car l’agent marié reçoit quarante livres de charbon de terre par semaine durant toute l’année, tandis que ses camarades célibataires n’ont droit qu’à la moitié de cette ration durant les mois d’été. Bobby aime les enfans ; on s’en aperçoit bien à la manière paternelle dont il traite ceux des autres sur la voie publique. Il faut voir avec quelle sollicitude il reconduit chez eux, en les tenant par la main, les marmots égarés. Comment cet oiseau de nuit négligerait-il son nid et sa propre couvée ? On assure que, vivant au milieu des tragédies de la société, il n’en goûte que mieux les joies paisibles du cercle domestique. Cet homme qui durant ses rondes ténébreuses est si souvent assailli par le cauchemar du crime personnifié dans de hideuses figures et par le souvenir des scènes lamentables auxquelles il assiste chaque jour, une fois rentré dans sa famille, se plaît à voir autour de lui un groupe de têtes blondes et innocentes. Il est fier de sa femme vêtue le dimanche d’une robe neuve et avec laquelle il voudrait bien se promener aux bois de Shooter’s hill ; malheureusement les congés sont rares[1]. L’ouvrier anglais se repose le septième jour, le facteur (postman) se repose ; seul le policeman ne se repose point. Dix heures de faction durant la journée ou huit pendant la nuit, voilà le cercle invariable dans lequel il tourne et retourne toute la semaine. Le dimanche est même redouté du constable à cause d’un surcroît de travail, car les voleurs ne respectent guère le commandement de l’église anglicane sur l’observation du sabbat, et, bien loin de chômer, profitent au contraire des heures du service religieux pour se glisser à petit bruit dans l’intérieur des maisons isolées. Le policeman veille ce jour-là pour ceux qui prient et pour ceux qui s’amusent.

Quant à l’agent célibataire, sa manière de vivre est toute différente. Il ne demeure point où il veut : sa maison officielle, son home, ainsi que disent les Anglais, est la station de police, où il

  1. Les simples constables ont sept jours de congé (holydays) par an ; les sergens dix, les inspecteurs quatorze, et les surintendans vingt-huit.