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policeman est un policeman lui-même ; au moindre bruit suspect, comme il dresse l’oreille ! On croirait volontiers qu’il interroge le vent, la terre qui craque, la branche qui remue.

La métropole de l’Angleterre se trouve entièrement confiée à la tutelle de la force civile. Il n’y a dans Londres ni poste militaires, ni corps de garde, ni patrouilles de soldats parcourant les rues la nuit. Excepté dans des cas très graves de troubles ou d’émeutes, la police n’a rien à attendre de l’armée. C’est même tout le contraire qui arrive quelquefois : durant la guerre de Crimée, par exemple, les troupes anglaises étant occupées à l’étranger, les constables prirent la place des soldats dans les dockyards et dans d’autres chantiers du gouvernement. Étant seule responsable du repos de la ville, la police procède par ses agens à toutes les arrestations. Un crime ou un délit a-t-il été commis en sa présence, le constable saisit le coupable et le conduit à un bureau connu sous le nom de station house. Là, il fait son rapport à l’inspecteur, qui écrit sur un registre la déclaration et consigne le prévenu dans une cellule jusqu’à ce que le magistrat tienne séance, c’est-à-dire jusqu’au lendemain[1]. L’agent qui l’a fait mettre sous les verrous est ensuite appelé devant la cour de police en même, temps que l’accusé. En présence de ce dernier et du magistrat, il répète la déclaration faite la veille à l’inspecteur, et raconte les principales circonstances qui ont donné lieu à la prise de corps. Il n’est après tout qu’un témoin à charge, et il doit veiller avec soin sur ses paroles, car le moindre mensonge découvert expose le constable à une action judiciaire pour perjury (faux témoignage), crime que la loi anglaise frappe de peines assez rigoureuses. La manière de déposer en termes clairs et sans emphase devant les cours de police forme une partie de l’éducation des jeunes recrues ; aussi les engage-t-on à suivre ces tribunaux durant quelques semaines afin d’apprendre la conduite des affaires et le rôle que doivent y jouer les officiers de la force publique.

Le policeman, il faut l’avouer, n’est point un optimiste ; ce sont les ombres qui le frappent surtout dans la nature humaine, et le moyen qu’il en soit autrement ? N’a-t-il point chaque jour affaire sur la voie publique avec les passions grossières, les attaques brutales, toutes les misères de la conscience ? En des vices qui lui donnent le plus de besogne est l’ivrognerie. Les défauts des

  1. Toutes les fois que les charges ne sont point très graves, l’inspecteur peut mettre en liberté la personne tout en exigeant d’elle une caution d’argent (bail). Cette tolérance se pratique surtout lorsque l’arrestation a lieu le samedi soir, car alors le détenu serait obligé d’attendre jusqu’au lundi matin avant d’être examiné, le juge ne siégeant jamais le dimanche.