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Londres se compose en quelque sorte de plusieurs villes. Il y a tel quartier qui, comparé à tel autre, semble comme un pays étranger. Quiconque, par exemple, voyage de Haymarket, de Piccadilly et de Pall-Mall vers les régions excentriques de Wapping et de Bethnal-Green, passe sous certains rapports de la civilisation à la barbarie. Il existe surtout un étroit district redouté la nuit des passans, et auquel les Anglais eux-mêmes ont donné le nom sinistre de Tiger-Bay ; c’est en effet le Bengale de Londres, mais un Bengale humide et affreux, où les tigres sont remplacés par des hommes. Certains territoires de cette ville cosmopolite forment d’ailleurs de véritables colonies exotiques. Dans le voisinage de Bluegate-Fields vivent des Chinois au teint jaune qui s’entassent dans de pauvres réduits empoisonnés d’un acre parfum d’opium et habités en même temps par des filles anglaises ou irlandaises du dernier ordre. Est-ce l’Allemagne que l’on cherche ? On la trouvera dans White-Chapel. L’Italie s’étend non loin de Saffron-Hill et de Leather-Lane : ses enfans, qui parlent entre eux la langue natale, sont des sculpteurs et des doreurs sur bois, des mouleurs de figures en plâtre, des joueurs d’orgues qui se chargent de propager les beaux-arts et de les mettre à la portée des classes pauvres. Gare le poignard ! Un assassinat commis il y a quatre ou cinq ans dans un des public homes de ce quartier ajoutait à la couleur locale en rappelant la vendetta italiana. Le Paris de Londres, qui n’a d’ailleurs rien de très attrayant, occupe les alentours de Leicester-Square et de Soho. De même qu’à la guerre chaque arme a sa fonction, chaque division de police se distingue jusqu’à un certain point par un caractère particulier et un ensemble de devoirs assortis à la position qu’elle doit défendre. Les formes du service se calquent plus ou moins sur les mœurs des différens quartiers. Le policeman chargé de surveiller, dans Haymarket les vices dorés, les scandales à la mode, aurait le droit de se croire exilé chez les Scythes, si ses chefs l’envoyaient tout d’un coup dans les contrées de l’East-End. Qui ne comprend tout d’abord que le maniement d’une population si diverse et si féconde en contrastes exige plus d’une qualité de la part des gardiens de la ville ?

Il y a néanmoins un ensemble de fonctions qui ne changent guère. Le premier devoir du policeman est de maintenir l’ordre dans les rues, tout en intervenant le moins possible. Les grandes artères de Londres se trouvent-elles engorgées par un excès de circulation, c’est à lui de diminuer la pression de la foule et des voitures, de prévenir les accidens et de modérer en quelque sorte les élémens de cette tempête journalière que les Anglais appellent London traffic. Dans plus d’un cas, son autorité est toute morale ; on le choisit pour arnitre ou pour conseil presque chaque fois que des