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prélèvement sur le capital, il faudra en 1870 inscrire de ce chef 20 millions de plus au passif, et qu’en 1872 l’annuité cinquantenaire due à la Société algérienne montera à 5,759,000 francs en même temps que l’actif sera amoindri des 16,666,666 francs que verse actuellement cette compagnie. Et dire que tout cela laisse en dehors l’imprévu, qui est si menaçant au milieu des courans fiévreux qui agitent l’Europe !

Cet amas de chiffres est si sombre qu’on n’ose pas les totaliser. Une chose est évidente, c’est que, le passif ne cessant de grossir, l’insuffisance des recettes normales s’accusera de plus en plus. Or on vient d’avouer que les ressources extraordinaires autres que les émissions de rentes sont épuisées. Essaiera-t-on d’établir un équilibre factice par des roulemens de crédit, fera-t-on de l’emprunt, en permanence un moyen de gouvernement ? Certaines gens vous diront que la dette publique de la France est bien moins forte que celle de l’Angleterre, et qu’il y a encore de la marge chez nous. La différence est moins grande qu’on ne le croit quand on y regarde de près ; il suffirait d’une guerre pour la combler, et puis nos voisins ont dans leur système rationnel de fiscalité, et surtout dans la liberté, qui est l’âme de leur gouvernement, des ressources qui n’existent encore chez nous qu’en germes. Plus on emprunterait, plus on élargirait l’écart entre la recette et la dépense, et, des annuités de plus en plus fortes devant être ajoutées au passif, on verrait la dette nationale augmenter avec la rapidité inflexible de l’intérêt composé.

Nombre de gens ont foi dans un déploiement de travaux publics sous la souveraine impulsion de l’état. Ce système est plein d’illusions, et nous croyons qu’il est pour beaucoup dans les embarras du moment. Les faveurs du pouvoir empêchent autant de travaux qu’ils en suscitent, parce qu’il n’y a ni capitaux, ni confiance pour les entreprises qui ne sont ni patronnées ni subventionnées. Le gouvernement impérial a bien moins contribué à l’augmentation des recettes par la surexcitation dans l’ordre des travaux publics que par la réforme commerciale, qui restera son meilleur titre. Il faut pourtant aviser. La seule chose possible, la seule chance de salut, selon nous serait, de se ménager, par de larges économies sur les dépenses militaires, le temps de préparer l’opinion à l’indispensable réforme de notre fiscalité. Au surplus, nous écrivons ces dernières lignes avec un sentiment de sécurité qui était bien loin de nous en commençant : le corps Législatif a le sentiment d’un danger ; il vient de montrer qu’il comprend la mission difficile que les circonstances lui imposent ; s’il n’était pas soutenu par l’opinion, il faudrait désespérer de l’avenir.


ANDRE COCHUT.