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la ligne de Lyon à une compagnie nouvelle au prix de 114 millions remboursables en quatre ans. Il faut dès lors effacer du budget des recettes le produit net de ce chemin : n’est-ce pas là un emprunt véritable, puisque l’état aliène un revenu au prix d’un capital qu’il encaisse ?

Deux années s’écoulent ; on a porté à quatre-vingt-dix-neuf ans la durée des concessions de chemins de fer, et constitué par là un grand monopole financier. On a fait surgir le Crédit mobilier, on a fait don au Crédit foncier, aux sociétés de secours mutuels, aux logemens et asiles d’ouvriers, aux retraités des desservans pauvres, d’une somme de 5.5 millions à prendre sur le produit des forêts de la famille d’Orléans, rattachées aux domaines de l’état. On a provoqué la construction du palais de l’industrie, qu’on sera obligé de racheter plus tard au prix de 13 millions. Due rente de 500,000 fr. est inscrite par décret au profit de la Légion d’honneur. Il y a du travail dans les usines, et la spéculation est dans le ravissement. Au spectacle de la prospérité publique, on désire ajouter le luxe de la gloire. La guerre d’Orient est résolue. Si on avait soupçonné ce qu’elle allait coûter et combien elle devait peser sur les finances du règne, on ne l’aurait peut-être pas entreprise. On risque timidement un premier emprunt de 250 millions ; on n’était pas encore accoutumé à ces gros chiffres. Le succès dépasse les espérances. On lance coup sur coup un second emprunt double du premier, puis un troisième aussi fort à lui seul que les deux autres. À cette occasion, on introduit l’habitude de faire ajouter au chiffre de l’emprunt annoncé la somme nécessaire pour couvrir les frais et payer la première annuité. Le trésor récolte ainsi 1,538 millions nets au lieu des 1,500 millions demandés au public. Les profits politiques de cette guerre sont-ils proportionnés aux sacrifices ? Grosse question qu’il ne nous appartient pas de résoudre. Le résultat le plus évident est que la Russie, cruellement blessée, mais non pas abattue, se recueille depuis quatorze ans avec une âpre rancune, et que le milliard et demi que Sébastopol nous a déjà coûté menace les contribuables en ce moment même d’une nouvelle dépense non moins accablante peut-être.

Il faut faire beaucoup pour les armées à qui on demande beaucoup. Après la guerre de Grimée, on imagine une combinaison tendant à assurer l’avenir de ceux qui se consacrent au service militaire et à satisfaire en même temps les familles résignées à un sacrifice pour conserver leurs enfans. Le système de l’exonération n’a plus de défenseurs aujourd’hui ; les officiers lui reprochent d’avoir affaibli notre armée, il n’a pas été moins préjudiciable à nos finances. Le moins apparent de ses vices était de mettre des