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de l’Europe coalisée ? En fût-on quitte au même prix que pour la guerre d’Orient, ce qui est peu probable, nos hommes d’état pourraient-ils nous dire comment ils feraient pour ajouter 72 millions à notre budget des recettes ? Est-ce que l’on continuerait à emprunter pour payer les intérêts des emprunts ?

Nous ne sommes en ce moment qu’un écho. Ce que nous venons de répéter est ce qui se dit dans les journaux, dans des brochures qui obtiennent une attention inaccoutumée, dans toutes les réunions où l’on ne professe pas l’indifférence pour les intérêts généraux. L’émotion a gagné jusqu’aux rangs conservateurs du corps législatif, où la confiance dans le pouvoir s’est transmise jusqu’ici comme une sorte de religion ne comportant pas l’examen. La majorité encourage la commission des budgets au contrôle ; elle la soutient, à ce qu’on assure, dans la proposition de réduire l’emprunt, qui ne serait pas assez fort, si on le mesurait aux besoins, ce qui donne à la résistance la signification d’un avertissement. C’est que la politique financière suivie depuis le commencement du règne en est arrivée à ce point où les illusions se dissipent. Si un changement de système n’est pas essayé bientôt par le pouvoir à qui appartient l’initiative, il sera commandé impérieusement par la force de l’opinion publique sous la pression de quelque crise soudaine. Malheureusement les documens financiers ne sont pas à la portée de tout le monde, ceux même qui les possèdent les comprennent rarement, et d’ailleurs les avocats du gouvernement savent si bien noyer les controverses dans des océans de chiffres optimistes, que le public, pénétré par instinct de la nécessité d’une réforme, arrive rarement à se faire une conviction raisonnée. Ces faits dont les détails sont si difficiles à saisir, ces impressions flottant dans les esprits à l’état vague, nous allons les exprimer avec précision. Nous recueillons des matériaux pour la question à l’ordre au jour ; le reste sera fait, il faut l’espérer, par le corps législatif et par les électeurs.


I. — LES EMPRUNTS.

Ceux qui ont gardé souvenir des derniers temps du règne de Louis-Philippe se rappelleront avec quelle rapidité l’opinion publique passa d’une confiance épanouie à un vague malaise où dominaient les appréhensions sur l’état de nos finances. La conquête très dispendieuse de l’Algérie, qu’on venait d’achever, des sacrifices multipliés pour donner l’impulsion aux travaux publics, les mécomptes de la spéculation succédant à 1 ! engouement pour les chemins de fer, et surtout la grande crise alimentaire de 1847,