Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/647

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

communauté est radicalement illusoire. La retraite de l’Angleterre en fit éclater les impossibilités et en dissipa le rêve. Un esprit libéral, plus conforme à la vérité de l’histoire de l’Angleterre, à sa constitution, à son origine révolutionnaire, à ses intérêts, préside, sous le ministère de Canning, à la politique du gouvernement anglais ; la tiédeur déjà remarquée chez lord Castlereagh à Troppau se manifeste plus fortement à Vérone malgré les dispositions personnelles de lord Wellington. L’Angleterre se sépare des souverains du continent, et l’édifice de la réaction tombe en poussière. Gentz écrit alors : « Le mauvais principe engendré par la réforme et plus tard par la rébellion contre Charles Ier, dont la révolution de 1688 n’est qu’un faible épilogue, n’a jamais, à vrai dire, péri en Angleterre ; assoupi pendant la plus grande partie du XVIIIe siècle, lorsqu’il s’est réveillé, il n’a pas tardé à être comprimé. Il a levé la tête avec la révolution française, mais l’énergie de Pitt et la profonde orthodoxie de Burke l’ont abattu de nouveau. Depuis 1845, il s’est redressé avec de nouvelles forces ; il est à cette heure un des plus formidables alliés de nos ennemis… Je n’aurais pas grand’peine, j’en suis sûr, à montrer l’absurdité des discours de Grey, de Holland, de Mackintosh, à les écraser dans la boue, si j’avais le loisir et la liberté de me livrer à ce travail. Je n’ai ni l’un ni l’autre[1]. » L’objet favori de sa haine, comme de celle de Metternich, est Canning ; ils laissent tous deux éclatera sa mort une joie indécente. Gentz écrit : « Nous étions à table lorsqu’il est arrivée la grande nouvelle de la mort de Canning. Vous imaginez l’agitation ; tout le monde s’est levé sans achever de dîner… De quelque côté qu’on la considère, il est et demeure parfaitement certain que cette mort doit être regardée comme une grâce d’en haut[2]. » On prend en pitié cet aveuglement d’un esprit que la haine possède, et l’on se demande ce qu’eût ditBurke d’entendre parler ainsi son traducteur d’autrefois et le théoricien de la constitution anglaise ; ce langage n’est pourtant que le dernier terme d’une aberration dont on a pu suivre pas à pas le progrès, et qui commence par la peur de la liberté.

L’histoire de Gentz est désormais celle de ses désenchantemens ou plutôt de ceux de la restauration. Trompé du côte de l’Angleterre, inquiet du côté de la France, il s’alarme de l’ambition de la Russie, qui prête la main aux Grecs, il voit avec épouvante la révolution, odieux Protée, revêtir une nouvelle forme, celle du despotisme barbare. En 1805, en. 3808, Gentz adhérait au plan soumis par Talleyrand à Napoléon de jeter et d’agrandir l’Autriche du côté

  1. Briefe an Pilat, t. II, p. 47.
  2. Ibid., t.. II, p. 224.