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se soucie de la paix ou de la guerre, qu’il s’impatiente des tergiversations de l’Autriche ? Nullement ; la réunion des souverains au château de la duchesse de Sagan, leur cortège de généraux et d’hommes d’état, le rassemblement d’un demi-million d’hommes dans l’espace de quelques lieues carrées. le va-et-vient qui amène à chaque instant des incidens imprévus et des figures nouvelles, un tel spectacle le ravit et l’occupe uniquement. A Prague, où les conférences continuent et où le départ de M. de Metternich le laisse un instant maître absolu, ébloui de la grandeur de son rôle, sollicité du matin au soir par des personnages princiers ou de grandes dames, il éprouve, à se voir le canal des grâces, le centre des informations et des nouvelles, un bonheur de parvenu, sans s’abandonner toutefois à une dangereuse sécurité. « Tout peut arriver, écrit-il à Rahel. Vous pensez bien que j’ai toute la journée des chevaux de poste tout préparés. » A Bade en 1814, à Paris en 1815, il savoure à longs traits les mêmes satisfactions puériles. Ses lettres, écrites au sortir des réunions où se décidait en ce moment le sort de la France et de l’Europe, représentent au vif la mascarade des opinions, l’imbroglio des intérêts et des calculs, la confusion des rôles ; presque tout ce qui porte un nom et tient un des fils de la situation, les Fouché, les Louis, les Pasquier, les Decazes, les Vitrolles, même les Benjamin Constant et les d’Argenson, y apparaît à côté des souverains et de leur entourage dans une attitude évidemment prise sur nature ; mais le plus curieux personnage est encore l’écrivain qui juge les événemens et les acteurs quelquefois avec une sagacité surprenante, presque toujours en homme qui n’a garde de prendre au sérieux la comédie.

Cette frivolité ne l’empêche pas d’être de part dans les plus importantes affaires ; on ne peut se passer de sa plume alerte, infatigable, qui enfante sans jamais s’épuiser mémoires, manifestes, projets, avis, protocoles ; parmi les instrumens diplomatiques du temps, on ne saurait dire combien il y en a de sa façon. Le congrès devienne donne l’essor à ses doubles aptitudes d’homme de plaisir et d’écrivain. Ce congrès ouvre dignement par une élégante orgie une ère de mysticisme épicurien ; Gentz jouit consciencieusement de toutes les fêtes sans être pour cela moins prêt au travail. On peut distinguer parmi les hommes d’état que le congrès rassemble deux catégories, les diplomates du premier rang, ceux qui ont l’oreille et le secret des souverains, qui tiennent le de dans les séances, qui semblent donner l’impulsion et conclure, les Hardenberg, les Metternich, les Castlereagh, puis ceux qui travaillent dans les commissions, élaborent les plans, rédigent les projets, simples plumitifs, si l’on veut, mais qui, chargés de donner une forme aux idées des autres, les déterminent, les fixent et sont à portée de faire