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se fut décidée précipitamment à la guerre, Haugwitz, s’apercevant que la Russie se presse peu de réaliser ses promesses, a l’idée de faire une tentative pour gagner l’Autriche, et c’est à Gentz qu’il s’adresse. Gentz se rend sur son invitation au quartier-général. Ses notes pendant son séjour à Naumbourg, où, parmi les ministres, les généraux, les princes de sa connaissance, il retrouve tout le Berlin officiel, rendent à merveille non-seulement la situation d’esprit de l’observateur, mais la physionomie d’un état en désarroi à la veille d’une catastrophe, les rivalités d’amour-propre, les illusions et les faux calculs, la sotte satisfaction des uns, les récriminations des autres, les involontaires pressentimens de tous. On y voit en plein la légèreté de Haugwitz, qui se flatte « de tenir Napoléon dans sa poche. » Gentz lui expose un plan d’organisation de l’Allemagne : deux confédérations alliées, présidées l’une par l’Autriche, l’autre par la Prusse, et dont les membres garderaient tous les droits de la souveraineté ; quant aux compensations territoriales nécessaires à l’établissement de ce nouvel ordre, elles se feraient aux dépens de la Bavière, qui est plus responsable que personne de l’état présent des choses. Haugwitz feint d’accepter ses idées. « Vous parlez comme si vous aviez lu dans ma pensée, je pourrais dire aussi dans mes papiers… » Il ajoute un instant après : « Je ne vous cacherai pas du reste que l’idée d’une confédération du nord à opposer à la confédération du Rhin ne m’a jamais sérieusement occupé ; elle n’a jamais été jetée en avant que pour gagner du temps. Ayons des victoires d’abord. Pour les compensations territoriales, je suis de votre avis, c’est à la Bavière de payer l’écot. » Gentz revoit ses anciens adversaires, MM. Lucchesini et Lombard, les conseillers préférés et les ministres de Frédéric-Guillaume II, partisans obstinés de la paix jusqu’à la dernière heure, forcés maintenant de confesser humblement leur erreur, mais en la rejetant sur le caractère du roi. Lombard montre à Gentz le manifeste de guerre qu’il a rédigé, et Gentz le modifie de fond en comble, ce qui faisait qualifier plus tard ce manifeste, dans le Moniteur, d’ouvrage « d’un misérable scribe qui se vend pour de l’argent. » Gentz ne se trompe pas sur le duc de Brunswick, à l’égard duquel personne d’ailleurs ne conserve plus d’illusion. Brunswick le reçoit avec force complimens, et trouve moyen, en de pareils momens, de s’étendre sur mille bagatelles. Gentz a toutes les peines du monde à couper court à ces lieux communs et à le ramener à des sujets plus graves. « Enfin il parla de la guerre, mais en homme qui n’aurait pas eu une connaissance exacte de la situation et se serait réservé tout au plus de juger ce que feraient les autres. Embarrassé par cet entretien, je cherchais de temps en temps à lui donner un autre tour sans y parvenir. Le duc me répétait sans cesse et d’un ton qui