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M. Elliot, le ministre d’Angleterre à Dresde. Pitt n’était plus au pouvoir, Addington, qui lui avait succédé, venait de signer le traité d’Amiens, mais on ne se faisait pas d’illusion sur cette paix précaire, et, quoique Pitt soutînt encore Addington, la faiblesse de ce ministère permettait de prévoir dès lors un prochain retour de Pitt aux affaires. Gentz fut reçu comme une vieille connaissance et traité par les partisans de la guerre avec cette politesse empressée qui ne prouve rien à l’égard d’un allié nécessaire. Il rencontra chez son ancien ami de Berlin, Thomas Grenville, plusieurs de ceux qu’il avait combattus, Fox, Mackintosh, Sheridan, et réussit à maintenir à leurs yeux sa réputation d’homme d’esprit ; ce fut tout, mais il ne lui en fallait pas davantage. Il n’était pas venu pour eux, son but unique avait été de s’entendre avec les chefs du parti tory, avec Pitt surtout, et il l’atteignit complètement. Il devint leur représentant en quelque sorte officiel sur le continent ; une somme ronde lui fut payée d’entrée de jeu, et il reçut en outre un traitement fixe comme un envoyé. Sa fonction est de défendre devant l’Europe toutes les mesures du cabinet de Saint-James, et il entre en exercice par l’Exposé authentique des relations de l’Angleterre avec l’Espagne avant et après l’explosion de la guerre entre ces deux puissances. Il se conduit dès lors en plénipotentiaire sans lettres de créance, chargé d’attiser partout l’esprit de résistance, de donner à cet effet aux princes et à leurs ministres des consultations, de relever ceux qui plient, de ramener ceux qui s’écartent. Napoléon prend-il le titre d’empereur, il rédige pour Louis XVIII une protestation en règle ; Gustavo-Adolphe de Suède fait-il acte d’indépendance et de fierté en refusant je ne sais quelle distinction qui lui est offerte, il lui adresse une lettre de félicitations ; le ministère autrichien se décide-t-il à reconnaître l’empire, Gentz discute cette démarche, dans laquelle il dénonce une consécration des conquêtes de la violence, une abdication des puissances légitimes, un gage de succès pour toutes les tentatives révolutionnaires. Nul sujet ne l’arrête : il examine gravement celui de savoir « si c’est un crime de tuer un homme, tel que Bonaparte, » et il conclut que « cette question tient exclusivement à celle de la légalité de son pouvoir[1]. » Il y a là une vigueur de haine qui montre assez que celui qui la ressent s’inspire de l’Angleterre plutôt que de l’Autriche.

Une justice à rendre à Gentz et une chose qui fait honneur à son sens politique, c’est que l’impatience ne l’aveugla jamais, ni en 1805, ni en 1806, ni en 1809, sur la condition absolue du succès

  1. Observations sur la négociation entre l’Angleterre et la France en 1806. — Mémoires et lettres inédites du chevalier de Gentz, par G. Schlesier ; Stuttgart 1841, p. 108.