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sez embarrassé de la contenance qu’il aurait à garder. Le saint-père avait ordonné à Rome aux cardinaux de ne prendre part à aucun dîner, à aucune réception, à aucune fête, dans un temps de si grand deuil pour le saint-siège. « Sans avoir besoin de la prohibition du pape, mon seul titre de cardinal et d’ancien membre du gouvernement pontifical, nous dit Consalvi dans ses mémoires, me faisait regarder comme une chose très indécente et très indigne qu’au moment où notre chef était prisonnier, le saint-siège plongé dans le malheur, l’église privée de sa liberté et de ses domaines, la religion au milieu des périls, de la ruine et de la tristesse, un cardinal pût parader dans les assemblées, dans les conversations, assister aux banquets et faire bonne mine aux représentans de ce gouvernement qui avait renversé le sien[1]. » La gêne qu’éprouvait Consalvi était d’autant plus grande qu’il était plus particulièrement connu, et l’on peut dire aimé de presque tous les personnages considérables dont le nom s’est rencontré sous notre plume. Il avait été en rapports intimes durant son premier séjour à Paris avec l’archi-chancelier Cambacérès, avec l’archi-trésorier Lebrun, le vice-grand-électeur Talleyrand, le ministre de la police Fouché, et le nouveau ministre des cultes, le comte Bigot de Préameneu, était lié avec lui par d’anciennes relations. Tous les membres de la famille impériale, la mère de Napoléon, ses frères, ses sœurs et ses beaux-frères, les nouveaux rois et les nouvelles reine, auxquels il avait rendu service à Rome pendant son ministère, n’avaient pas cessé de témoigner pour lui beaucoup d’estime et d’affection. Ce qui rendait à ses yeux sa position plus difficile encore, c’est que les cardinaux arrivés avant lui à Paris y avaient adopté une conduite toute différente de celle qu’il se croyait en conscience obligé de tenir. Non-seulement ils avaient tous accepté la pension de 30,000 fr. que l’empereur leur avait allouée, mais ils couraient à toutes les soirées, dans les maisons des grands fonctionnaires et des ministres de l’empire. où leur présence assidue n’était pas une des moindres singularités de cette époque fertile en surprenans contrastes.

Consalvi commença par refuser la pension de 30,000 francs, ne donnant d’abord pour motif de son refus que la vague assurance qu’il pouvait s’en passer; mais les insistances réitérées du ministre des cultes l’avaient obligé de convenir qu’il ne consentait pas à l’accepter parce qu’elle répugnait à sa conscience. Une autre épreuve à subir le préoccupait davantage : c’était la réception qu’il rencontrerait de la part de l’empereur. Il avait le pressentiment que, malgré son ancien mauvais vouloir, puisqu’il l’avait fait sortir du

  1. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 166.