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un peu niais, c’est une demoiselle de la cour, Amélie Imhof, quelque peu auteur, dont Goethe, avec sa bienveillance universelle, a vanté un poème intitulé les Sœurs de Lesbos. Gentz la quitte rempli d’enthousiasme et renouvelé de fond en comble, ce qui ne l’empêche pas d’écrire dans son journal deux jours après son retour à Berlin : « Bel effet des promesses de Weimar. — Le 23 décembre, j’ai perdu au jeu tout ce que j’avais. Il m’a fallu courir le lendemain toute la journée en quête de quelques thalers pour notre fête de Noël. » Il devient amoureux fou d’une actrice nommée Christel Eigensatz ; comme elle avait un amant, il commence par l’en débarrasser en procurant à celui-ci une autre maîtresse ; puis ce sont à eux quatre des parties de plaisir de toute espèce, de folles courses en whisky à travers les rues de Berlin, des soupers qui finissent par un jeu effréné. Il écrit dans son journal : « 5 avril. Le plus pressant et le plus sensible de mes malheurs était l’impossibilité de faire un cadeau à Christel, qui avait aujourd’hui son bénéfice. » Il lui arrive heureusement le même jour d’Angleterre une traite de mille livres. On a peine à se souvenir en parcourant les détails de cette triste histoire que Gentz était marié. Il est aisé de se représenter l’intérieur d’un tel ménage, où les embarras d’argent s’aggravaient des justes reproches de sa femme et des scènes presque tragiques que lui faisait son père. On ne s’étonne point que sa femme se décide enfin à une séparation inévitable. Un matin il trouve une lettre où elle lui annonce qu’elle quitte la maison pour toujours ; le soir il va tuer ses soucis à un bal chez le comte de Pourtalès, et y passe la nuit tout entière au trente-et-quarante.

Cependant Gentz parle de son désespoir en retrouvant la solitude dans sa maison ; ses lettres et les notes de son journal témoignent d’un malaise d’esprit de plus en plus douloureux. Le fait est que la situation pour lui n’était plus tenable à Berlin ; le métier de viveur n’est possible qu’à celui qui a le droit de s’endetter ou qui accepte bravement l’étiquette d’aventurier. Les amis de Gentz, malgré leur indulgence, commençaient à reconnaître, et il reconnaissait lui-même qu’il ferait sagement de se dépayser. Au printemps de 1802, il obtint non sans peine un congé pour se rendre à Tœplitz ; après avoir fait à Dresde la connaissance du prince de Metternich, il poussa jusqu’à Vienne. Le comte de Stadion lui avait ménagé une audience de l’empereur ; il offrît ses services, qui furent agréés. Nommé conseiller avec un traitement de 4,000 écus, il reprit la route de Berlin pour présenter sa démission ; mais il ne jugea pas à propos de reparaître dans cette ville, qu’il ne devait plus revoir. Il adressa de Dresde sa démission au roi, et ne se priva pas du plaisir de laisser entendre que l’état et le gouvernement perdaient en lui une force qu’ils avaient trop méconnue. D’un théâtre où