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restauration l’intime confident du prince de Metternich et le dépositaire des desseins poursuivis par le coryphée de la politique d’immobilité en Europe. En un mot, son nom apparaît presque à toutes les pages de l’histoire de l’Allemagne au temps où cette histoire est le plus mêlée à la nôtre ; il se rattache inévitablement à celle de nos luttes et de nos malheurs. On s’étonne que ce nom soit peu connu en France, et que la vie de l’homme qui l’a porté n’y ait pas excité jusqu’à cette heure une plus vive curiosité.

Frédéric de Gentz a éprouvé longtemps, même dans son pays, l’ingrate fortune des publicistes militans. Dès que les intérêts à la défense desquels ils ont consacré leur talent font place à d’autres intérêts, leur rôle d’un moment commence à s’amoindrir. Ceux de leurs écrits qui ont le plus fortement ému l’opinion, leurs pages les plus éclatantes et les plus chaudes, se refroidissent et bientôt s’oublient. En fait d’éloquence politique, la réputation de l’orateur semble, contre toute apparence, moins précaire encore que celle de l’écrivain. Les triomphes de la parole vivante laissent dans la mémoire un long éblouissement et attachent au nom de l’orateur, lors même qu’on ne lit plus ses discours, le prestige d’une grande puissance personnelle. La personne du publiciste n’est rien, et, si ses écrits surnagent parfois, c’est grâce à des qualités entièrement étrangères à la politique. De toutes les formes du talent littéraire, celle-là, rémunérée par la courte agitation qu’elle produit et par l’honneur d’occuper tout un jour l’attention du monde, est le plus souvent condamnée, pour prix de cet avantage, à un prompt oubli, et il faudrait un effort d’imagination qu’on ne fait point pour se rendre compte de la puissance qu’elle a momentanément exercée. Gentz, frappé depuis 1830 du même discrédit que la cause qu’il avait servie, et comme perdu dans l’ombre de son trop illustre protecteur, en sort peu à peu et reconquiert dans l’histoire diplomatique et littéraire du XIXe siècle la place à laquelle il a droit. Rien de ce qui peut faire connaître à fond un homme public ne manque aujourd’hui pour l’étudier. Outre ses ouvrages principaux, la plupart de ses écrits de circonstance, brochures, mémoires diplomatiques, articles dispersés dans les journaux, ont été rassemblés et publiés à diverses reprises par MM. Schlesier, Dorow, Weick. Sa vie a été plusieurs fois racontée par des biographes consciencieux qui n’ont négligé aucune source d’information, entre autres par MM. R. Haym, Schmidt-Weiszenfels, Gessner, et tout récemment par M. K. Mendelssohn-Bartholdy. Gentz a été l’objet d’appréciations approfondies de la part des historiens les plus autorisés du droit politique, tels que M. Robert Mohl et M. Bluntschli. De bonne heure il s’était mis lui-même à noter au courant de la plume ses impressions de chaque jour, soit qu’il eût le projet d’écrire