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composent de beaucoup la meilleure partie de son œuvre, il n’en est guère où les conditions techniques que nous venons de rappeler ne soient pratiquées avec une sûreté de goût et une convenance bien différentes des habitudes de ses prédécesseurs immédiats. On peut dire que dans cette importante branche de l’art il a opéré une véritable réforme, et qu’en ramenant la sculpture en bas-relief aux principes grecs il a exercé sur les écoles modernes une influence contre laquelle on serait mal venu à réagir. Elle intéresse, non la cause d’un talent et d’un homme, mais la raison d’être de l’art lui-même et les droits du bon sens. Ce n’est pas en imitant simplement la manière même du maître que les plus renommés parmi ses contemporains ou ses successeurs ont continué le progrès commencé par lui, c’est en recherchant à son exemple dans les monumens antiques d’autres informations et d’autres lois que des recettes d’arrangement ou des indications de costume, c’est en s’enquérant comme lui de l’esprit qui a prescrit ces moyens, institué ces lois et converti en règles fixes, nécessaires, applicables à tous les sujets, ces combinaisons inspirées en apparence par le goût particulier d’une école et d’une époque. Ainsi ont procédé en Allemagne Schwanthaler et Rietschel, en France David d’Angers, Cortot, Pradier et plus récemment Simart, tous ceux enfin qui de nos jours ont le mieux traité la sculpture en bas-relief. Venu le premier, Thorvaldsen leur a montré le chemin. Il s’est préservé des imprudences ou des dangers dans cette voie difficile, comme il les a prémunis eux-mêmes contre le double péril des aventures et de la routine. Là est, à notre avis, le plus sûr de ses titres. Pour tout le reste, sauf pour quelques rares statues comme le Mercure, la réputation qu’il a laissée nous semble justement menacée de déchéance.

Qui sait même ? peut-être, en punissant Thorvaldsen des trop fréquens abus de son talent, ira-t-on envers lui jusqu’à exagérer la justice ; peut-être, en croyant n’exercer que des représailles légitimes contre l’admiration aveugle dont il aura été l’objet, confondra-t-on dans une même réprobation, dans une même indifférence tout au moins, les témoignages les plus sincères de ce talent et ceux qui n’en montrent que les capitulations regrettables ou le faux zèle. Sévère leçon, bien faite pour donner à penser aux artistes en voie de se laisser séduire par les avances de la fortune, par les étourderies favorables de l’opinion ! Un jour vient où de pareils bienfaits se paient avec usure, où ces succès, achetés au prix du respect de l’art et de soi-même, se tournent en rigueurs contre celui qui en avait autrefois profité. Ce jour peut être prochain pour la mémoire de Thorvaldsen. Quelque excessive expiation qu’il amène, quelque injustice à certains égards qu’il provoque, le tout aura du