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de couronnes, chacun songeait bien moins à s’acquitter d’un devoir de sa fonction ou de son métier qu’à obéir à ses sentimens intimes. Encore une fois, rien de plus honorable. Il ne faudrait pas cependant qu’à force d’admirer les manifestations de cet enthousiasme patriotique on négligeât d’en contrôler la justesse, et qu’en se souvenant un peu trop de l’importance attribuée à Thorvaldsen dans son pays la critique oubliât ses propres obligations et ses franchises.


III

La part une fois faite dans l’examen des travaux de Thorvaldsen aux œuvres incomplètes ou absolument négligées, à quel rang celles qui honorent le plus son talent doivent-elles être classées parmi les monumens de l’art moderne ou dans l’histoire de l’art en général ? Le sculpteur du Triomphe d’Alexandre, du Mercure et de plusieurs autres bas-reliefs ou statues dignes de survivre à l’époque qui les a vus naître a-t-il personnellement fondé une tradition, déterminé un progrès, introduit dans l’art un élément nouveau ? Ce serait surfaire le prix de ses exemples et exagérer l’importance de son rôle que d’attribuer au tout une vertu équivalente à l’excellence des enseignemens ou à la grandeur des souvenirs légués par les maîtres du premier ordre. Toutefois il n’y aurait pas moins d’injustice à méconnaître les services rendus par Thorvaldsen et à tenir en estime médiocre non-seulement les preuves de haute habileté qu’il a données à ses heures, mais les efforts qu’il lui est arrivé aussi d’accomplir pour seconder le mouvement des esprits vers une connaissance du beau plus sûre, vers une foi dans l’antique mieux informée.

Thorvaldsen, cela est certain, ne saurait passer pour un de ces novateurs tout-puissans, pour un de ces inventeurs de génie qui ont découvert et traduit un ordre de vérités dont personne n’avait eu le pressentiment avant eux. Il n’est pas même un réformateur à la façon du peintre David, j’entends l’apôtre convaincu d’une doctrine délaissée, s’imposant de sa propre autorité la mission de changer autour de lui les idées et les choses. Lorsque Thorvaldsen arriva en Italie, les monumens de l’antiquité qui allaient persuader son esprit et instruire sa main avaient depuis assez longtemps déjà repris crédit auprès des artistes, tandis que l’opinion publique, mise en éveil d’abord par les écrits de Winckelmann, tout à fait gagnée ensuite par les sculptures de Canova, se prononçait de jour en jour plus énergiquement en faveur de cette seconde renaissance. Un statuaire ou un peintre eût été mal venu alors à prétendre s’en tenir aux traditions de la première en cherchant, comme les Florentins autrefois, à concilier l’invention personnelle avec l’imitation