Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/607

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses collections d’objets d’art, qu’il avait d’avance assurées par testament à sa ville natale, ainsi que tous les modèles de ses œuvres, installés aujourd’hui à Copenhague dans le musée qui porte son nom.

Le retour de Thorvaldsen en Danemark après une absence de quarante-deux ans, interrompue seulement par le séjour de quelques mois dont nous avons parlé, eut à tous égards les caractères d’un véritable triomphe. Il faut lire dans le livre de M. Pion les détails de cette ovation, à laquelle participent toutes les classes de la population depuis les membres du parlement, de la municipalité et de l’académie de Copenhague jusqu’au plus humble corps de métier, depuis les princes de la famille royale, qui accueillent comme l’un des leurs le fils illustre d’un pauvre ouvrier, jusqu’aux bourgeois de la ville, qui détellent ses chevaux pour traîner sa voiture par les rues. Quelques-uns de ces témoignages d’admiration pourront, à la distance où nous sommes de l’événement et des faits qui l’avaient précédé, paraître un peu plus passionnés que de raison. A ne considérer que la valeur intrinsèque de plus d’un souvenir évoqué en cette occasion comme un immortel titre de gloire, on jugera peut-être que la gratitude nationale dégénérait presque en engouement, et que la corporation des artistes, par exemple, ne laissait pas de choisir un symbole esthétique assez pauvre en portant peintes sur sa bannière les Trois Grâces de Thorvaldsen. N’importe, excessive ou non, cette joie patriotique avait un principe trop louable pour qu’on n’en respecte pas même aujourd’hui l’effusion et la sincérité exceptionnelles.

On pense bien que tout ne se borna pas à ce tumulte des premiers momens, et que des gens capables de s’émouvoir ainsi au seul souvenir de ce qu’avait fait leur compatriote n’étaient pas d’humeur à s’en tenir là, maintenant qu’ils pouvaient le voir à l’œuvre et assister jour par jour à ses travaux. Tant que Thorvaldsen vécut, et il vécut près de six ans encore[1], son atelier fut le point de mire de tous les regards, sa personne l’objet de tous les respects, et lorsqu’il mourut subitement en mars 1844, au moment où il venait de prendre au théâtre royal la place qu’il y occupait chaque soir, les témoignages du deuil et de la consternation unanimes prouvèrent assez que même au-delà de cette vie il n’avait rien perdu de son autorité sur l’opinion. On peut dire sans exagération que le jour des funérailles la nation tout entière fit cortège au maître vénéré, et qu’en suivant jusqu’au seuil de l’église où le roi et les grands corps de l’état l’attendaient ce cercueil chargé

  1. Thorvaldsen en réalité ne passa que quatre de ces années en Danemark, le reste ayant été consacré par lui à un nouveau voyage en Allemagne et à un séjour de quelques mois, à Rome, qu’il avait voulu revoir une dernière fois.