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des princes qui se trouvent momentanément à Rome, un monument à la mémoire du peintre Appiani, le mausolée du prince Eugène Beauharnais, celui du cardinal Consalvi et ce colossal Tombeau de Pie VII qui orne aujourd’hui ou plutôt qui encombre la chapelle Clémentine dans la basilique de Saint-Pierre : œuvre sans grandeur comme sans beauté, malgré ses vastes proportions et sa magnificence apparente, œuvre à la fois emphatique et mesquine, massive et vide. On y trouverait peut-être à louer l’expression de la tête du pontife, mais partout ailleurs elle accuse l’indigence de la pensée sous le faste du style, et les lourdeurs de l’exécution sous la majesté banale de ces figures allégoriques personnifiant, à grand renfort de sabliers, d’égides et de massues, l’Ange de la mort, la Sagesse où la Force.

Dans cette accumulation de tâches acceptées sans compter et de stipulations souvent à courte échéance, tout ne se passait pas, il est vrai, pour Thorvaldsen, sans que les témoignages d’impatience, les réprimandes même, vinssent inquiéter quelque peu sa conscience ou compliquer sa situation. Un jour la veuve du prince Eugène, la duchesse de Leuchtenberg, lui écrivait au sujet du tombeau de son mari : « Au bout de près de trois années, pendant lesquelles vous n’avez pas songé à vous occuper du mausolée, je comprends l’impossibilité où vous êtes de remplir les clauses stipulées dans le contrat, et c’est avec un vif chagrin que je renonce à l’idée de voir le monument élevé par votre main. » Une autre fois c’était son ancien protecteur, M. Hope, qui lui exposait en termes aussi sévères pour le moins des griefs mieux fondés encore. « Depuis l’engagement contracté par vous envers moi, lors de ma présence à Rome, lui écrivait-il, c’est-à-dire depuis près de quatorze ans, je n’ai eu de nouvelles ni de vous, ni de ma statue, pour l’exécution de laquelle cependant deux premiers paiemens avaient été faits exactement, suivant votre demande. » Une autre fois enfin il ne fallait pas moins qu’une visite personnelle du pape Léon XII au sculpteur pour déterminer celui-ci à pousser plus activement les travaux du Tombeau de Pie VII, travaux qui, bien souvent interrompus même après cette visite, ne furent en réalité achevés que six ans plus tard. En présence de pareilles difficultés, et sans songer d’ailleurs à se justifier absolument, encore moins à se dessaisir d’aucune tâche, Thorvaldsen répondait aux exigences les plus pressantes par la mise en train ou la reprise des ouvrages réclamés, sauf à obtenir ensuite un nouveau délai, durant lequel il essayait d’apaiser au même prix d’autres créanciers. Le cas devenait-il trop urgent ou la réclamation trop vive, Thorvaldsen, pour sortir d’embarras, élargissait en proportion la part qu’il abandonnait d’ordinaire à