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fidèlement les surfaces. Le style antique, au lieu de lui apparaître comme le vêtement de la vente morale ou la parure de la réalité, était à ses yeux le fond de l’art lui-même, la raison d’être de toutes les tentatives, le principe et la fin de tous les progrès. Quoi de plus contraire aux inclinations et aux doctrines des maîtres de la renaissance ? Réduire la fonction de la sculpture moderne à cette imitation strictement archaïque, à cette contrefaçon sans intention personnelle et sans âme, c’était agir précisément en sens inverse des entreprises poursuivies en Italie par les écoles du XVe et du XVIe siècle, en France par Jean Goujon et tant d’autres. Bien plus, c’était, en matière d’abnégation, enchérir sur les exemples des nouveaux puristi eux-mêmes et justifier d’avance les efforts un peu véhémens que Bartolini allait tenter pour séparer l’art de l’artifice et le retremper dans le naturel.

Il faut le dire pourtant quelque dépourvus d’originalité que fussent les premiers ouvrages exécutés par Thorvaldsen à Rome, ils, avaient au moins ce mérite de restituer aux formes de la sculpture la gravité perdue en grande partie sous l’influence des doctrines ou sous le ciseau de Canova. Même en modelant des statues d’un caractère expressément gracieux, comme l’Amour et Psyché, comme Adonis, Hébé ou Ganymède, l’artiste danois réussit mieux que les sculpteurs italiens contemporains à rendre la jeunesse ou la souplesse du corps sans aboutir à la mollesse, à l’élégance efféminée. A plus forte raison, là où il s’agit de représenter la beauté virile, la grâce robuste, Thorvaldsen n’a garde de se faire le complice des mièvreries de style ou des petites habiletés d’outil en usage au commencement du siècle. Son Jason, à ce titre, est une exception remarquable parmi les statues produites, alors en Italie. Si cette figure majestueuse, mais d’une majesté un peu froide, ne justifie pas de tous points l’enthousiasme des éloges que Mme de Staël lui a donnés dans son livre sur l’Allemagne, elle explique au moins le mouvement général de surprise qui en accueillit l’apparition et l’empressement avec lequel Canova lui-même reconnaissait dans l’œuvre du débutant « un morceau de style nouveau et de grande manière. » Le moment était proche où cette manière allait s’agrandir encore, où ce talent, simplement consacré jusqu’alors, à l’imitation extérieure de l’antique, allait s’en approprier plus à fond les secrets. La longue série des bas-reliefs représentant le Triomphe d’Alexandre marque avec éclat ce progrès à la fois intellectuel et pittoresque. De toutes les œuvres du maître, il n’en est pas, à notre avis, qui permette mieux, aussi bien même, d’apprécier les caractères particuliers de sa pratique et les ressources de son imagination. Il n’en est pas non plus où les traditions de l’art grec nous