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valait déjà au sculpteur les félicitations et l’amitié un peu lyriques du futur roi de Bavière, le prince Louis, celui-ci du moins, en écrivant à « son cher bien-aimé et grand Thorvaldsen, » n’exprimait rien qui ne fût alors aussi bien d’accord avec les faits qu’avec ses propres sentimens ; mais lorsque, à partir de 1820 à peu près, Thorvaldsen, cessant d’être un maître, n’est plus guère qu’un producteur fécond, le bruit autour de sa personne et de son nom s’accroît en raison même de l’abus progressif qu’il fait de son talent. Parmi les touristes de toutes les nations, parmi les artistes eux-mêmes, c’est à qui vantera le plus haut, c’est à qui fêtera avec le plus d’empressement celui qu’un poète, apparemment à court de métaphores, a proclamé tout net « fils de Dieu » (figlio di Dio), et qu’Horace Vernet pour sa part a dans un banquet public couronné de laurier au dessert. Nous ne prétendons pas sans doute rendre Thorvaldsen responsable de ces hyperboles ridicules ou de ces excès d’enthousiasme. Ce que nous voulons seulement indiquer, c’est la part de complicité qui lui revient dans les injustices commises à son profit et l’imprudence avec laquelle il s’est exposé par là aux sévérités à venir. N’insistons pas au surplus. Avant d’entrer dans le détail des erreurs ou des fautes qu’on peut reprocher à la seconde moitié de cette carrière, il convient d’examiner les faits qui en honorèrent les débuts et de demander à la jeunesse du maître les souvenirs d’entreprises plus hautes et de succès mieux mérités.

Né en 1770 à Copenhague, Bertel ou Albert Thorvaldsen était âgé de vingt-six ans lorsqu’il partit pour l’Italie avec le titre de pensionnaire de l’académie royale, qui trois années auparavant lui avait décerné le grand prix. Comment avait-il employé son temps jusqu’alors ? Dans quelle mesure l’apprentissage commencé auprès de son père, simple sculpteur en bois pour la marine, avait-il pu se réformer ou se compléter pour lui sous la direction du peintre Abildgaard et des professeurs de l’académie ? M. Pion, qui a vu à Copenhague les premiers essais de Thorvaldsen, mentionne un Amour au repos, Numa consultant la nymphe Egérie, Hercule et Omphale, quelques autres bas-reliefs encore, dans lesquels on ne saurait, à son avis, démêler rien de plus que les bonnes intentions « d’un écolier bien doué, » ou parfois une expression « assez gracieuse malgré la pose forcée des figures. » Faute de connaître les monumens en cause, il ne nous appartient que d’enregistrer ce jugement ; mais, pour en pressentir la justesse, ne suffit-il pas de se rappeler ce qu’étaient et ce que pouvaient être les cogitions générales de l’art en Danemark vers la fin du siècle dernier ?

Par quel miracle en effet, par quel prodige de génération spontanée, un artiste consommé aurait-il surgi du jour au lendemain