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ans, pour mon père, qui avait été son élève ; elles ont servi à mes premières études botaniques ; je les ai pieusement gardées ; et, si j’ai rectifié le classement un peu suranné de mon professeur, j’ai respecté les étiquettes jaunies qui gardent fidèlement son écriture. … J’ai trouvé dans un volume de l’abbé de Saint-Pierre, qui a été longtemps dans les mains de Jean-Jacques Rousseau, une saponaire ocymoïde qui m’a bien l’air d’avoir été mise là par lui. — De nombreux sujets me viennent de mon cher Malgache, Jules Néraud, dont le livre élémentaire, et charmant, Botanique de ma fille, a été réédité avec luxe par Hetzel, après avoir longtemps dormi chez l’éditeur de Lausanne.

Cet aimable et excellent ouvrage est le résumé de causeries pleines de savoir et d’esprit que j’écoutais en artiste et pas assez en naturaliste. Je ne me suis occupé un peu sérieusement de botanique que depuis la mort de mon pauvre ami. J’avais toujours remis au lendemain l’épelage de cet alphabet nécessaire dont on espère en vain pouvoir se passer pour bien voir et réellement comprendre.. Le lendemain, hélas ! m’a trouvé seul, privé de mon précieux guide ; mais les plantes qu’il m’avait données, avec d’excellentes analyses vraiment descriptives, — il y en a si peu de complètes dans les gros livres ! — sont restées dans l’herbier comme typés bien définis. Chacune de ces plantes me rappelle nos promenades dans les bois avec mon fils enfant, que nous portions à tour de rôle, et qui aimait à chevaucher la grande Jeannette, la boîte de fer-blanc du Malgache.

D’autres amis, qui grâce au ciel vivent encore et me survivront, ont aussi laissé leurs noms et leurs tributs dans mon herbier. Une grande artiste dramatique, qui est rapidement devenue botaniste attentive et passionnée, m’a envoyé des plantes rares et intéressantes des bois. de la Côte-d’Or. Célimène a les yeux aussi bons qu’ils sont beaux. La botanique ne leur a rien ôté de leur expression et de leur pureté : c’est que l’exercice complet d’un organe le retrempe. J’ai longtemps partagé cette erreur, qu’il ne faut pas exercer la vue, dans la crainte de la fatiguer. L’œil est complet ou non, mais il ne peut que gagner à fonctionner régulièrement. Des semaines et des mois de repos, que l’on me disait et que je croyais nécessaires, augmentaient le nuage qui me gêne. Des semaines et des mois d’étude à la loupe m’ont enfin prouvé que la vue revient quand on la sollicite, tandis qu’elle s’éteint de plus en plus dans l’inertie ; mais en ceci comme en tout il ne faut point d’excès.

L’herbier se prête aussi aux exercices de la mémoire, qui est un sens de l’esprit. Si on ne le feuilletait de temps en temps, les noms