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les petites cascades de l’Indre ; c’était un coin vierge de culture et bien touffu. La flore y est très belle. J’y ai trouvé cette année-là l’agraphis blanche, le genêt sagitté, la balsamine noli me tangere, la spirante d’été, les jolies hélianthèmes, le buplèvre en faux, l’anagallis tenella, sans parler des grandes eupatoires, des hautes salicaires, des spirées ulmaires et filipendules, des houblons et de toutes les plantes communes dans mon petit rayon habituel. La circée m’a remis toute cette floraison sous les yeux, et aussi la grande tour effondrée, et le jardin naturel qui se cache et se presse sous les vieux saules, avec ses petits blocs de grès, ses sentiers encombrés de lianes indigènes et ses grands lézards verts, pierreries vivantes qui traversent le fourré comme des éclairs rampans. Le martin-pêcheur, autre éclair, rase l’eau comme une flèche ; la rivière parle, chante, gazouille et gronde. Il y a partout, selon la saison, des ruisseaux ou des torrens à traverser comme on peut, sans ponts et sans chemins. C’est un endroit qui semble primitif en quelques parties, que le paysan n’explore que dans les temps secs. Hélas ! gare au jour où les arbres seront bons à abattre ! La flore des lieux frais ira se blottir ailleurs. Il faudra la chercher.

En voyant le domaine de la nature se rétrécir de jour en jour et les ravages de la culture mal entendue supprimer sans relâche le jardin naturel, je ne suis guère en train de conclure avec certains adeptes de Darwin que l’homme est un grand créateur, et qu’il faut s’en remettre à son goût et à son intelligence pour arranger au mieux la planète. Jusqu’à présent, je trouve qu’il est un affreux bourgeois et un vandale, qu’il a plus gâté les types qu’il ne les a embellis, que pour quelques améliorations il a fait cent bévues et cent profanations, qu’il à toujours travaillé pour son ventre plus que pour son cœur et son esprit, que ses créations de plantes et d’animaux les plus utiles sont précisément les plus laides, et que ses modifications tant vantées sont, dans la plupart des cas, des détériorations et des monstruosités. La théorie de Darwin n’en est pas moins vraisemblable et logiquement vraie ; mais elle ne doit pas conclure à la destruction systématique de tout ce qui n’est pas l’ouvrage de l’homme. L’interpréter ainsi diminuerait son importance et dénaturerait probablement son but ; mais, pour parler de ce grand esprit et de ces grands travaux, il faudrait plus de papier que je ne veux condamner vos yeux à en lire. Revenons à nos fleurs mortes.

Je vous disais que l’herbier est un cimetière ; hélas ! le mien est rempli de plantes cueillies par des mains amies que la mort a depuis longtemps glacées. Voici les graminées que mon vieux précepteur Deschartres prépara et-classa ici, il y a soixante-quinze