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tinople; mais je n’exige rien du pape actuel, je ne veux même pas qu’il reconnaisse la réunion de Rome à la France : je n’en ai pas besoin. Une donation faite en un temps de barbarie et soutenue par l’ignorance est subreptice. Si cependant le pape veut aller à Rome, il faut qu’il reconnaisse la réunion; mais, s’il ne veut point y aller, je ne lui parlerai pas de cette réunion. Le principal but de la négociation doit être de l’engager à choisir son domicile en France. Aussi bien j’ai seul les richesses et le pouvoir nécessaires pour subvenir aux besoins de l’église. Mon intention est, dans le cas où l’on réussirait à l’engager à venir en France, de le placer à Reims[1]. »


Le croirait-on? pendant qu’il était animé à l’égard du saint-père de tels sentimens, pendant qu’il n’hésitait pas à lui adresser un pareil langage et à lui faire porter de tels messages, l’empereur, à qui ne manquait certainement pas la connaissance des hommes, qui avait pratiqué intimement Pie VII, ne désespérait pas de l’amener à ses desseins, qui sait? de lui faire peut-être accepter un rôle dans la prochaine cérémonie de son mariage ! Par précaution en tout cas et à tout hasard, il mandait à son ministre des cultes « de faire venir à Paris non-seulement les ornemens pontificaux, mais encore la tiare et les autres joyaux servant dans les cérémonies du pape. Il y a entre autres une tiare que j’ai donnée au pape et qu’il ne faut point laisser à Rome[2]. »


Ces projets passablement inconsistans et tout à fait chimériques de l’empereur n’avaient pas longtemps tenu devant la réalité des choses. Ses rapports avec la commission des ecclésiastiques qu’il avait choisis et désignés lui-même pour s’occuper des affaires de l’église l’avaient peu à peu ramené, sinon à des sentimens plus raisonnables, du moins à une plus froide appréciation de ce qui était présentement possible. Nous aurons à parler avec détails dans une prochaine étude des affaires portées devant cette commission; il nous suffit aujourd’hui de dire un mot de l’impression produite sur l’empereur par les différens membres du clergé dont elle était composée. Le cardinal Fesch, qui en était président, et contre lequel il était en ce moment animé d’une mauvaise humeur très marquée à cause de la partialité qu’il lui supposait pour la cause du saint-père, était celui qu’il traitait avec le moins de faveur, quelquefois avec une rudesse et un mépris qui ne laissaient pas d’em-

  1. Note insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier, t. XX, p. 169, d’après la minute conservée aux archives de l’empire.
  2. Lettre de l’empereur au comte Bigot de Préameneu. Paris, 2 février 1810. — Correspondance de l’empereur Napoléon Ier, t. XX, p. 173.