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reconnu, et qui a donné lieu à de si longs débats en Angleterre sous Jacques II, je veux parler du droit d’insurrection, consacré par André Il en des termes qui méritent d’être rapportés. « Si nous ou nos successeurs voulions violer les dispositions de cette constitution, les évêques et les nobles de ce pays, tous et individuellement, auront à jamais la libre faculté de résister à nous et à nos successeurs, sans pouvoir être accusés d’infidélité. » Cet article 31 fut juré par tous les rois jusqu’à Léopold, qui, victorieux en 1687, le fit rayer du recueil des lois ; mais il demeura inscrit au fond des cœurs, et, comme on sait, il n’y resta pas lettre morte.

Ces libres institutions, qui paraîtront peut-être donner trop de pouvoir à la nation et pas assez au gouvernement, n’étaient point particulières à la Hongrie. M. de Tocqueville nous dit dans son livre sur l’Ancien régime et la Révolution que, plus il étudiait le moyen âge, plus il était frappé de la prodigieuse similitude qui existait entre les lois des différens peuples de l’Europe à cette époque. Partout, en France, en Allemagne, dans les Pays-Bas, en Espagne, le souverain ne pouvait introduire de lois nouvelles ni lever des impôts sans le consentement des états, et quand ceux-ci ne parvenaient pas à obtenir le redressement d’un abus contraire à leurs franchises, ils refusaient les subsides. Entre le souverain et la nation, il y avait contrat ; si le premier le violait, l’autre pouvait refuser l’obéissance. On se rappelle le fier serment des Aragonais envers leur roi : « Nous qui, réunis, valons et pouvons plus que vous, jurons d’obéir aux conditions ci-dessus exprimées. Sinon, non. »

Quand, à la fin du moyen âge, la royauté acquit plus de force, elle l’employa à briser les institutions provinciales, qui lui étaient odieuses parce qu’elles entravaient son action. Celles-ci périrent en Espagne sous Charles-Quint, en France sous Richelieu, en Prusse sous le grand-électeur, et, là où elles continuèrent à subsister, elles ne furent plus qu’une vaine ombre, parce que l’armée permanente, aux mains du souverain, lui permettait de les supprimer à son gré : elles ne vivaient donc que par tolérance et à la condition de ne pas offrir de résistances sérieuses. En Hongrie, elles conservèrent et leurs formes et leur puissance, parce que la nation, toujours armée et belliqueuse comme aux temps héroïques, eut le bras assez fort pour repousser toutes les attaques du pouvoir. Par une double exception, ce pays échappa et à la féodalité, qui ailleurs fractionna l’unité nationale, et au despotisme administratif, qui, pour la rétablir, anéantit toutes les libertés locales. Montesquieu, a-t-on dit, a retrouvé les titres que le genre humain avait perdus : les Hongrois ont conservé les leurs. Chez les anciens Germains,