Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/513

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire rentrer la France dans la pratique virile de toutes les libertés, puisque c’est l’associer elle-même aux devoirs comme aux responsabilités de sa politique, que nul jusqu’ici, pas même l’empereur Napoléon Ier au temps de sa grandeur, n’a portés sans fléchir. Ce n’est qu’en étant libre chez elle, libre par sa tribune, par sa presse, par toutes ses institutions, que la France peut jouer utilement et grandement son rôle dans cette situation de l’Europe, où il n’y a du reste pour le moment que des apparences, beaucoup de signes d’incertitude, des incidens plutôt que des événemens. Nous appelons un incident pour la France, comme pour les autres puissances qui s’y trouvent engagées avec elle, cette querelle, plus bruyante que sérieuse, née à Tunis du mauvais vouloir d’un assez triste débiteur qui donne hypothèque à plusieurs créanciers sur les mêmes ressources. Que la France défende les intérêts de ses nationaux et la convention récente qui les garantit, que l’Angleterre et l’Italie agissent de même en défendant à leur tour la validité de leurs propres conventions, rien n’est plus simple; mais ce n’est pas là évidemment une de ces questions faites pour susciter même un ombrage entre des cabinets bien intentionnés, placés à distance et au-dessus de ces petits chocs d’intérêt et d’influences rivales.

Le seul point réellement sérieux pour la France, c’est toujours ce qui se passe sur le continent, surtout au centre de l’Europe, et là même rien de grave, rien de caractéristique, rien au moins d’immédiatement pressant n’apparaît. C’est un travail qui se poursuit péniblement, obscurément, sous le regard de puissances qui pour l’instant sembleraient plus disposées à étouffer qu’à allumer l’incendie. Nous vivons, il est vrai, dans une de ces périodes où les événemens peuvent échapper subitement à toutes les directions et à toutes les prévisions. Lorsque le parlement douanier de l’Allemagne s’est réuni récemment à Berlin, n’a-t-on pas pu se demander un moment si à propos de tarifs et d’intérêts matériels la question allemande n’allait pas renaître tout entière? Le parti national avait manifesté l’intention de présenter au roi Guillaume une adresse affirmant l’unité politique de l’Allemagne en des termes qui ne laissaient plus aux états du sud qu’une ombre d’indépendance, et qui devaient inévitablement appeler l’attention de l’Europe. M. de Bismarck n’est pas sans doute si impatient d’en finir; puis les députés du sud ont résisté, ils ont menacé de se retirer, si l’adresse était votée, et en fin de compte la difficulté a été tranchée par un simple ordre du jour. Il y a du reste un fait qui a été révélé dans ces débats et qui a bien une certaine signification, c’est que dans une partie de l’Allemagne du sud, principalement dans le Wurtemberg, les élections au parlement douanier se sont faites sous l’influence d’un sentiment assez marqué d’antipathie contre la Prusse. Il n’en faudrait certes pas conclure que l’unité allemande s’arrêtera en chemin; mais c’est au moins l’indice des difficultés qu’elle peut