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de la première, tout en portant atteinte au principe même sur lequel repose la seconde, préserve celle-ci de bien des attaques auxquelles une trop étroite solidarité entre elles l’aurait exposée infailliblement. Avant de parler du clergé catholique, mentionnons en passant les 9 pour 100 de la population irlandaise qui, quoique protestans, n’appartiennent pas à l’église établie. Ce sont presque tous des presbytériens, colons écossais établis pour la plupart dans la région de l’Irlande qui fait face à leur ancienne patrie, industrieux et laborieux, très attachés à leur foi, passionnés même sur les questions religieuses, mais en général moins enclins que les adhérens de l’église anglicane à y mêler des questions politiques. Leur église, parfaitement indépendante de l’état, en reçoit cependant, sous le nom de regium donum, un subside de 1,125,000 fr., que M. Lowe a appelé le prix[1] de leur acquiescement aux abus de l’église officielle. Le même M. Lowe, dans son ardent exorde, a comparé la situation des deux clergés anglican et catholique à celle du riche de l’Évangile et de Lazare : seulement, a-t-il ajouté, Lazare mangeait les miettes qui tombaient de la table du riche, tandis que le Lazare irlandais n’obtient pas même une telle faveur. L’état, qui l’a autrefois dépouillé de tous ses biens, qui l’a persécuté pendant deux siècles et demi, le tolère aujourd’hui, accorde à ses membres la même protection, leur assure la même liberté qu’à tous les citoyens; mais il ignore leur caractère. Cette situation impose au clergé catholique bien des épreuves et bien des sacrifices. Cependant elle lui assure aussi une dignité, une indépendance; elle établit entre le peuple et ses ministres une confiance réciproque qui nous ont toujours vivement touché. Les catholiques anglais, peu nombreux et relativement aisés, peuvent facilement subvenir aux besoins de leur culte; il n’en est pas de même en Irlande. Là, l’église catholique est l’église vraiment nationale, et dans les trois quarts du pays l’église de tout le monde, c’est-à-dire que la grande majorité de ses adhérens forme une population singulièrement misérable. Pourtant ce clergé, qui n’a ni dîme, ni dotation, ni salaire, ni biens-fonds, qui, pauvre au milieu des pauvres, ne vit que d’aumônes, n’a pas failli à sa mission dans un seul point de la grande île. Partout où il y a un village, il se trouve un curé pour y vivre comme les paysans qui l’habitent ; partout où il y a dans une cabane isolée, au milieu des grandes tourbières de l’intérieur ou des rochers déserts d’une côte inhospitalière, un malade à assister ou une infortune à consoler, on y voit arriver le prêtre. Pour recevoir de la main de ses ouailles son pain quotidien, ce prêtre ne perd cependant pas une parcelle de son autorité. Afin de s’en convaincre, il suffit de l’entendre par-

  1. A bribe, mot beaucoup plus énergique.