Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/484

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voyaient sortir de leur bourse pour se rendre directement dans celle d’un clergé qu’ils détestaient. Beaucoup d’entre eux résistaient. Il en résultait souvent des meurtres, parfois même des émeutes sérieuses. Il fallut enfin modifier le système de perception, devenu impossible à appliquer. La loi de 1838 s’y prit habilement pour faire payer indirectement aux fermiers une partie de la taxe qui leur répugnait tant. On en changea le nom, les propriétaires durent la percevoir, et à titre de commission on leur accorda une réduction du quart. On annonça hautement que cette charge passerait des épaules des fermiers sur celles des propriétaires. Ceux-ci, étant pour la plupart protestans, la payèrent plus volontiers, et ceux d’entre eux qui étaient catholiques, gens aisés et hommes d’ordre, s’y soumirent comme leurs coreligionnaires en Angleterre. Toutefois les apparences seules furent modifiées, le percepteur fut changé et non le contribuable; le seul avantage réel de cette loi fut le dégrèvement de 25 pour 100. La dîme sera toujours un impôt sur la terre; avant comme après 1838, c’est le sol de l’Irlande qui prélève tant pour cent de ses fruits au bénéfice de l’église anglicane, et la répartition de cet impôt entre le fermier et le propriétaire sera toujours faite par une loi économique qui échappe à toute législation écrite. L’exploitation de la terre est le produit d’une association entre le propriétaire, qui représente le capital foncier, et le fermier, qui apporte aussi son capital, que ce soit un fonds de roulement ou, comme trop souvent en Irlande, la simple force de ses bras. Les fruits de cette association, charges et bénéfices, sont invariablement partagés entre eux conformément à la loi de l’offre et de la demande. En Irlande, d’une part un véritable fanatisme pousse les plus pauvres gens à tous les sacrifices pour devenir fermiers, d’autre part la grandeur des domaines, les hypothèques dont ils sont grevés, en éloignent les acheteurs. Il en résulte que tout le monde veut être fermier, personne propriétaire, et que les cultivateurs, poussés par la concurrence, entrent dans l’association en en prenant presque toutes les charges à leur compte. Ainsi, lorsqu’on remit aux enchères les fermes affranchies de la dîme, les baux s’élevèrent de telle sorte que ceux qui les prirent payèrent en plus au propriétaire tout ce qu’ils donnaient auparavant à l’église, et que la valeur même de la terre, indirectement dégrevée de l’impôt qu’elle supportait nominalement, n’en fut pas altérée.

Soutenue donc par un véritable impôt public, l’église anglicane d’Irlande est aussi, par son organisation intérieure, essentiellement une église d’état : elle l’est dans sa hiérarchie, elle l’est dans sa discipline. C’est au souverain protestant du royaume-uni qu’appartient en principe le droit de lui donner des évêques; néanmoins