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problèmes les plus ardus de la politique. Elle abordait le système tout entier des églises officielles, les partisans de l’église d’Irlande soutenant par des argumens plausibles que sa chute serait la condamnation implicite de l’église d’Angleterre, et ses adversaires affirmant avec plus de raison encore que cette condamnation à longue échéance prolongerait au contraire l’existence de celle-ci en amputant un membre malade et inutile.

La manière dont les libéraux proposent de traiter les apanages que l’église anglicane d’Irlande possède en sa qualité d’église d’état donne à cette mesure de sécularisation un caractère spécial et un intérêt tout particulier. Ils semblent avoir toujours eu présent à l’esprit ce que nous disait un jour l’un des plus vénérables libéraux italiens : « Ce n’est pas en étant antireligieux que l’on peut faire une révolution religieuse. » Le terrain sur lequel les partisans de l’église d’Irlande se sont placés est non moins intéressant à connaître, car il prouve d’une part combien ceux-ci se sentaient impuissans à défendre cette institution dans son intégrité contre l’opinion publique, et de l’autre combien les sentimens de véritable tolérance religieuse ont fait de progrès en Angleterre dans ces dernières années.


I.

En demandant la suppression de l’église établie d’Irlande, les orateurs libéraux n’ont pas seulement parlé au nom du devoir qui commande de mettre un terme à un si grand abus : ils ont invoqué la nécessité de donner aujourd’hui à l’Irlande un témoignage éclatant, sincère et spontané de réconciliation. La question de l’église d’Irlande est donc par-dessus tout une question politique, et, avant de l’aborder elle-même, il est nécessaire d’indiquer les griefs séculaires dont l’existence ou le souvenir ne cesse de l’envenimer. En vain dans un discours pétillant d’esprit M. Disraeli a-t-il soutenu devant la chambre que les Irlandais n’étaient pas une race conquise, qu’ils l’étaient moins que les Anglais. Sans doute toutes les nations de l’Europe occidentale ont été maintes fois conquises avant d’arriver à leur état actuel, mais partout, excepté en Irlande, la fusion des races a suivi la conquête, en a effacé la trace et peu à peu réparé l’injustice. En Irlande au contraire, le temps n’a fait qu’aggraver les violences que toute conquête entraîne avec elle : pendant des siècles, les crimes et les spoliations sont venus s’ajouter chaque jour à ceux de la veille et élargir ainsi, au lieu de le combler, l’abîme qui séparait les vainqueurs des vaincus. On peut suivre ce triste phénomène historique depuis les premiers jours de