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veaux de l’imagination moderne, comme d’un arbre séculaire, mais non épuisé? Un mélange de philosophie et d’invention, d’invention sans caprice et de philosophie sans souci personnel, voilà peut-être ce que nous pouvons attendre de la poésie contemporaine. Déjà quelques devanciers de l’auteur des Chroniques ont ouvert la voie dans cette direction. M. Robert Lytton, qui les connaît, qui les a suivis quelquefois, trouvera dans son éminente facilité de quoi soutenir brillamment la lutte avec eux.

Dans toutes les influences, pour la plupart volontairement subies par l’auteur des Chroniques, il en est une que nous n’avons pas mentionnée, celle de la famille. Les Bulwer Lytton, nom considérable dont le jeune poète porte légèrement le glorieux fardeau, les Bulwer Lytton ont, si je l’ose dire, une ambition d’universalité qu’ils justifient. Lord Lytton, le père du poète, poète lui-même, unit à ce talent le mérite d’un orateur écouté, la science d’un universitaire, la popularité d’un fécond romancier. Sir Henri Bulwer Lytton, oncle du poète, ambassadeur, n’a pas tellement consacré ses veilles à des traités diplomatiques, dont l’un porte son nom dans l’histoire contemporaine des États-Unis, il n’a pas vécu si bien renfermé dans les chancelleries, qu’il n’ait su conquérir un renom littéraire par des écrits variés, et qu’il ne se fasse entendre avec plaisir sur Lucrèce ou Cicéron. Aucune famille de haute noblesse n’a plus fait pour disputer à la démocratie le terrain commun de la littérature. Le fils et le neveu de ces deux hommes éminens a aussi son désir légitime d’universalité, la souplesse du talent paternel se remarque en lui; mais toute chose humaine a son revers. Comme le père a passé avec succès du roman byronien au roman mystérieux, et de celui-ci au roman historique, ou philosophique, ou bourgeois, le fils passe de Shelley à Keats, à Byron, à Tennyson, à Browning, et même à ceux moins grands qui surprennent la faveur publique, il ne les imite pas; il fait comme eux, aussi bien qu’eux, et c’est eux en vérité que l’on croit quelquefois entendre. L’universalité est de sa nature un peu jalouse de tous les lauriers. Ne vaut-il pas mieux cependant n’avoir qu’un accent qui se reconnaît toujours? Être alouette ou rossignol, qu’importe, si la nature a mis en nous la richesse et la fraîcheur de chants que toujours on retrouve avec plaisir? Telles étaient les réflexions qui nous venaient à l’esprit en comparant les poésies de M. Robert Lytton qui réveillaient en nous des réminiscences et celles qui nous apportaient des airs nouveaux.


LOUIS ETIENNE.