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mot si simple que « les morts vont vite ; » mais il parvient à ses fins en tournant les difficultés que les premiers en date, les conquérans, emportent de vive force. La juive ne croit pas aux démons qui habitent les tombes des mécréans; mais sa conscience, troublée par une vie impure, ouvre une porte à la superstition. La fille et surtout la mère ont mérité d’avance le sort que leur prépare le poète; ici la fatalité est presque de la justice. Le poète lui-même ne feint pas de croire aux apparitions diaboliques; il se garde d’imposer une si lourde charge à la crédulité de ses lecteurs. Ses personnages seuls cèdent plus ou moins à la superstition; la forme dramatique aide comme d’ordinaire à faire passer l’idée du merveilleux, et le dénoûment du petit drame demeure en suspens entre l’incertitude et la réalité. Rachel est descendue dans le caveau pour sa mère, pour son frère surtout, pour Manasseh, qu’un Grec a vendu comme esclave et qu’elle veut racheter.


« — Vite, ma mère, la chandelle! vite! Je crains de rester seule dans ces ténèbres.

« La mère, assise près de la tombe, prêta l’oreille. Les pas s’entendaient lents et sans direction. Elle regarda : la lumière brillait bien au fonde Alors la voix de Rachel sortit du souterrain : — Mère, mère, penche-toi, et tiens cela ! Et elle jeta quatre morceaux d’or. — Quatre ! compta la vieille femme, quatre tirés du minerai précieux. Enfant de mon sein, je te bénis! la main du Seigneur est avec toi! Tu es courageuse maintenant, aussi vivras-tu des jours longs et heureux. Rachel, Rachel, sois brave ! encore de l’or, toujours de l’or!

« — Mère, mère! la lumière est bien bas, la chandelle a diminué d’un pouce, et j’ai peur de rester seule dans ces ténèbres. — Rachel, Rachel! poursuis. Je me suis promis que tu ne reculerais pas. Ton frère est esclave, songes-y bien ; encore un effort, et il est libre ! Et qui remerciera-t-il, si ce n’est toi? Rachel, Rachel, sois brave! Manasseh gémit de l’autre côté de la mer; encore de l’or! toujours de l’or! — Mère, mère, ipenche-toi, et tiens cela!

« Et elle lança du fond de la tombe deux coupes d’argent ciselé, de grandes coupes d’argent massif. La vieille femme les saisit au vol : — Rachel, Rachel, c’est bien! Manasseh est libre! poursuis. Puisses-tu avoir toujours des festins royaux! Les yeux de Rachel s’allumeront des feux du vin, la bouche de Rachel se nourrira de lait, son pain sera le pain le plus délicat... C’est bien, ma fille, d’avoir délivré ton frère; mais il reste encore quelqu’un, et n’es-tu pas l’enfant chérie de ta mère? Encore un effort, Rachel! Ta mère est bien pauvre et bien vieille. Doit-elle fermer les yeux avant de voir ce qu’elle désire le plus au monde de voir? Encore de l’or, toujours de l’or!