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celle d’une craintive terreur que Cambacérès put d’abord lire sur le visage de ses interlocuteurs. « Cette cause, dirent-ils tout d’une voix, est de celles qui sont réservées, sinon de droit, au moins de fait, au souverain pontife. — Je ne suis pas, répondit l’archi-chancelier, autorisé à recourir à Rome. — Mais, objecta l’un d’eux, il n’est pas besoin de recourir à Rome pour avoir la décision du pape, puisqu’il est à Savone. — A la bonne heure, mais je ne suis pas chargé de traiter avec lui, et dans les circonstances actuelles c’est impossible[1]. » Le désir qu’avaient les malheureux ecclésiastiques du chapitre métropolitain d’être déchargés d’une si incommode commission était manifeste.


« Ils ouvrirent l’avis qu’on pouvait soumettre l’affaire aux cardinaux qui étaient présentement en si grand nombre à Paris. — Ils n’ont pas de juridiction ici, répliqua Cambacérès. — Mais, monseigneur, il existe précisément une commission de cardinaux, d’archevêques et d’évêques assemblés pour délibérer sur les affaires de l’église. — Ils ne forment pas un tribunal, et l’officialité est le tribunal établi pour connaître de ces causes. — Oui, prince, entre particuliers; mais dans cette occasion la dignité éminente des personnes en cause ne permet pas à l’officialité de se regarder comme le tribunal compétent. — Pourquoi donc? Est-ce qu’il n’est pas libre à sa majesté de se présenter, si bon lui semble, devant un tribunal établi pour ses sujets et composé de ses sujets? Qui peut lui contester ce droit? — En effet, reprit le promoteur, M. Rudemare, sa majesté en est le maître; mais cela est tellement nouveau et tellement contre l’usage, que nous ne pouvons prendre sur nous de nous regarder comme compétens, à moins que. le comité ne décide sur notre compétence. Disposés à faire tout ce qui dépend de nous pour prouver notre dévouement à sa majesté, nous ne pouvons cependant nous dispenser de recourir à tous les moyens qui peuvent mettre notre responsabilité à couvert et notre conscience en repos[2]. »


A des gens aussi troublés, il était nécessaire de concéder quelque chose. Cambacérès le sentit. « Nous ne voulons à aucun prix que cette affaire devienne publique et que les journaux anglais s’en emparent. Toutes les pièces en seront déposées dans la cassette de sa majesté, et nous vous demandons le plus profond secret. Le ministre des cultes vous fera cependant passer la décision que vous

  1. Narration par l’abbé Rudemare de la procédure suivie à l’occasion de la demande en nullité du mariage de l’empereur Napoléon et de l’impératrice Joséphine. — Pièces justificatives de la vie du cardinal Fesch, par l’abbé Lyonnet, présentement évêque d’Albi, t. II, p. 140.
  2. Relation de l’abbé Rudemare.