Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rimes de nos poètes connaisseurs bien dépassés! Ainsi la poésie du jour se charge de justifier les critiques tels que Matthew Arnold, qui prévoient un retour au siècle de la reine Anne après qu’on aura bien abusé du siècle de la reine Elisabeth. On mettra l’oreille du lecteur au régime du vers tout uni et tiré à quatre épingles après l’avoir amusée et enfin assourdie avec les mille clochettes et cymbales de certains vers du temps de Shakspeare. Nous confondons souvent et à tort avec l’hypocrisie le mot anglais de cant, qui veut dire affectation. Tout ce spasmodisme, qui tend du reste à disparaître, est une forme du cant britannique appliqué à la poésie.

La pièce de Gygès et Candaule est une imitation directe de la Veille de Sainte-Agnès de Keats, ou plutôt une lutte où le disciple rivalise avec le maître. Non-seulement la situation, mais la forme est la même, et M. Lytton y emploie presque la même stance que l’auteur dont il suit les traces. Tout le monde connaît l’aventure du roi de Lydie racontée par Hérodote en son premier livre; la prose et les vers se sont exercés à l’envi sur l’imprudence de ce roi, qui ne sut pas se contenter de connaître seul la beauté de son épouse, et qui paya de sa vie et de sa royauté l’outrage fait à la pudique fierté de la reine. Le sujet de la Veille de Sainte-Agnès est à la fois plus chaste et plus poétique. Dans les temps reculés où la superstition était impunément hardie parce qu’elle était naïve, les jeunes filles qui avaient dévotement prié sainte Agnès la veille du jour où était célébrée la patronne de l’innocence voyaient dans leur sommeil la figure de l’amant qui les devait mener à l’autel. Le jeune et passionné Porphyro apparaît ainsi à la douce Madeline ; mais la vision n’est pas un rêve, l’image de Porphyro est Porphyro lui-même. Il s’est glissé dans le sanctuaire du sommeil virginal pour décider sa bien-aimée à le suivre malgré une famille ennemie qui tuerait Porphyro sans pitié, si elle pouvait le prendre au piège. Cette haine des parens, comme dans Roméo et Juliette, jette un voile de chasteté sur la hardiesse des deux amans et chasse de l’imagination les apparences de la sensualité. Le poète groupe avec soin les circonstances qui purifient la situation décrite par lui : ce n’est pas de la pruderie, qu’on veuille bien le remarquer, c’est un art supérieur. Le flambeau s’éteint dans les mains de la jeune fille quand elle rentre dans sa chambre, qu’elle croit sûre et paisible; la lune éclaire seulement la scène de lueurs intermittentes. Madeline, éveillée par quelques notes que Porphyro tire du luth placé près d’elle, croit d’abord à un rêve envoyé par sainte Agnès. Lorsqu’elle a reconnu son amant, l’idée ne lui vient pas de trembler pour elle-même; son innocence,-le respect de Porphyro, le péril de celui-ci dans une maison peuplée de ses ennemis, détournent son esprit de