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fini de grandeur dans les infiniment petits. Ou bien elle se noie, se perd dans l’espace immense, se taille par-delà le soleil et les étoiles de gigantesques épopées, des drames vastes comme l’univers, dont la scène s’appelle le temps, la vie, le grand tout, et dont le solitaire et majestueux personnage est régulièrement le poète. Elle détruit ainsi toute proportion dans la nature, puisque l’homme après tout n’est ni dans l’un ni dans l’autre infini, qu’il est entre les deux. Ces excès, ces spasmes, viennent plutôt de l’impuissance que de la force; on ne succède pas impunément aux anciens et aux habiles d’entre les modernes, comme disait notre La Bruyère. Les anciens sont pour les écrivains anglais du temps présent les robustes poètes du XVIe siècle, qui déjà eux-mêmes abusaient parfois de leur esprit. « Leur gloire fait notre désespoir, » dit très justement Alexander Smith, une des étoiles les plus brillantes de la constellation qui tout à coup illumina le firmament il y a dix ans, étoile qui a tout à coup pâli, puisque, mort depuis cinq ans, il avait eu le temps de survivre à sa bruyante réputation. Les habiles d’entre les modernes, on les connaît, on les sait par cœur. Les uns et les autres, modernes et anciens, ces derniers surtout, voyaient la nature face à face, et ils la reproduisaient au milieu des applaudissemens. Ceux qui sont venus après ont simplement cherché les procédés qui font applaudir; peintres de seconde main, ils n’ont imité que des imitations. Ne soyons pas trop sévères : les grands peintres se dressaient de toute leur taille entre eux et la nature, et la leur cachaient. « Nous vivons sur eux ! s’écrie avec trop de vérité le même Alexander Smith; pauvres champignons d’un jour, nous végétons sur des troncs d’arbres qui sont des colosses ! » Aveu mélancolique après lequel on ne conserve plus le courage de condamner !

La critique, il faut le reconnaître, a quelques reproches à se faire dans cette occasion. Quand l’exaltation de l’amour-propre a égaré les vaniteux, ceux qui ont administré la louange portent bien la moitié de la faute. Ici nous rencontrons mieux que des traits généraux, des à peu près; nous pouvons saisir les diagnostics mêmes de la maladie spasmodique. On sait que la critique contemporaine, et ceci est vrai partout, a presque renoncé à sa fonction négative d’autrefois, l’indication des fautes, la correction du détail, et qu’elle y a substitué la fonction contraire, celle d’admirer, d’expliquer les beautés. Qu’elle ait eu raison, surtout en un temps où la rénovation de la poésie était le premier des besoins, nous n’avons pas même l’idée de le nier; mais la critique admirative, une fois établie, installée partout, a créé une situation nouvelle dont les effets ne peuvent pas être méconnus davantage. Nous ne voulons pas parler des fautes, des incorrections multipliées, toutes choses qui relèvent de