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glans reproches et des plus justes invectives. J’entends d’ici cette femme irritée lâchant la bride à sa violence et vomissant contre Tibère les plus formidables imprécations. Telle Hécube, folle de douleur, finit par être métamorphosée en chienne ; mais Tibère n’est plus l’homme faible de l’ancien temps : la débauche l’a enflammé, le goût du sang s’est développé, il est la bête féroce dans son antre. Tibère ordonne au centurion de frapper sa captive ; Agrippine redouble ses insultes, Tibère fait redoubler les coups ; un dernier, plus violent, fait sauter un œil de son orbite. Spectacle horrible, réservé aux temps barbares ! lutte plus digne d’une mégère de place publique et d’un bourreau de la Suburra ! acharnement de deux ambitions effrénées qui finissent par se prendre corps à corps ! flétrissure suprême d’un pouvoir qui excite et satisfait de telles passions entre les membres d’une même famille ! châtiée, déshonorée par une main vile, Agrippine est déposée dans l’île Pandataria, où elle doit mourir bientôt. La ruine de Séjan ne changera rien à son sort ; il est vrai que ses partisans, emportés par la vengeance et délateurs à leur tour, exerceront des représailles sur les partisans du favori tombé. Tibère, s’érigeant en grand justicier, frappera indistinctement toutes les têtes élevées, jusqu’à ce que Rome ne soit plus que silence et que terreur.

En vain Agrippine attend avec une fiévreuse impatience les nouvelles que lui apportent les barques de la côte d’Italie, qui est voisine. Chaque nouvelle sera pour elle une source de plus atroces douleurs. Un jour, c’est son fils bien-aimé, Néron, qui périt misérablement dans l’île Pontia. On ne l’a point tué, non, un soldat le menaçait seulement de la mort ; il lui montrait l’ordre de le transporter à Rome, il lui faisait toucher avec complaisance le lacet qui servirait à l’étrangler dans la prison Mamertine, le croc qui serait enfoncé dans sa poitrine pour le traîner sur l’escalier des gémonies : éperdu, terrifié, le pauvre enfant a consenti à se laisser mourir de faim. Un autre jour, c’est son second fils, Drusus, qui rend le dernier soupir sur le Palatin. Retenu dans des chambres souterraines, il y est privé de nourriture. Ses cris font retentir le palais jusque dans ses fondemens, on en tient note. Il maudit Tibère et adresse aux dieux des prières vengeresses, on recueille ses malédictions et ses vœux comme autant de crimes. Il veut sortir de force, quand il a encore quelque énergie, on le frappe, on le rejette dans sa prison, et le cep de vigne d’un centurion s’abat sur le fils de Germanicus. Rendu furieux par la faim, acharné à vivre, Drusus dévore ses matelas : quand il est mort, on trouve sa bouche et son estomac pleins de bourre. Ce ne sont point là des anecdotes recueillies à la légère, ce sont des déclarations officielles. Le centurion Actius, l’affranchi Didyme, comparurent devant le sénat, lurent leurs tablettes, se