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qu’il est temps de frapper les têtes les plus glorieuses et les plus fières. L’ordre arrive, on commence. C’est d’abord Caïus Silius, l’un des meilleurs généraux de Rome, et sa femme, Sosia Galla, amie d’Agrippine. L’un se tue, l’autre est exilée. C’est ensuite Titius Sabinus, qui est mené à la mort le premier jour de l’année et jeté aux gémonies, puis Calpurnius Pison, un des plus rudes patriciens du temps, enfin Claudia, la propre cousine d’Agrippine. Évidemment c’est vers Agrippine que les traits sont dirigés ; ce sont ses appuis que l’on abat. Il n’y a plus d’incertitude, ni les grands ni la multitude ne peuvent s’y tromper. On est averti : peu à peu le vide se fait, la peur y contribue mieux que le bourreau. Les cœurs s’éloignent, les bouches se taisent, les familiers se cachent, et l’infortunée voit autour d’elle s’étendre cette solitude morne et désolante qui n’est que l’attente du coup suprême.

Tibère, excité par Séjan, avait écrit une première lettre où il dénonçait Agrippine au sénat : une telle plainte valait une sentence de mort ou d’exil. Comme toutes les lettres de Caprée passaient par les mains de la vieille Livie, elle arrêta celle-ci, jugeant inutile de supprimer par un dernier forfait une femme qu’elle haïssait, mais qu’elle savait impuissante. Sa prudence fut plus forte que la haine de Tibère. Séjan comptait avec Livie ; mais dès que l’impératrice-mère est expirée, une nouvelle lettre est écrite où Tibère formule contre sa nièce les accusations les plus invraisemblables. Le sénat s’assemble ; pour la première fois il hésite à obéir. C’est qu’il est entouré par une multitude menaçante que les efforts des amis de Germanicus ont soulevée, qui porte en guise d’enseignes les images d’Agrippine et de Néron. Il fallut une troisième lettre de Caprée, la colère de Séjan, le déploiement des cohortes prétoriennes, pour enlever la condamnation. Pendant cette crise, qui dura plusieurs jours et plusieurs nuits, si le parti d’Agrippine eût eu, non pas une femme, mais un homme à sa tête, si une grande cause eut été en jeu et non une simple question de personnes, Séjan eût pu être vaincu, et le hideux vieillard de Caprée pris dans son île comme dans un piège.

Agrippine fut exilée dans l’île Pandataria (Palmérie), Néron dans l’île Pontia (Ponza), Drusus retenu captif dans la maison du Palatin, Caligula, beaucoup plus jeune, recueilli par son aïeule Antonia. Avant d’être transportée à Pandataria, Agrippine comparut devant son oncle, soit qu’il l’eût ainsi ordonné, soit qu’elle eût voulu être conduite jusqu’à lui. Alors se passa une scène horrible, consignée sans doute dans les mémoires de sa fille. Agrippine, désespérée, furieuse, ne pouvant rien obtenir, sentant qu’elle n’avait plus rien à perdre, ne se refusa pas la joie d’accabler son ennemi des plus san-