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solus et des ennemis plus féroces. Quand il voyait paraître devant lui cette femme redoutée, avec un visage insolent, de grands yeux pleins de mépris, des sourcils froncés, une voix sonore qui n’attendait que l’occasion de retentir, il avait peur, et il croyait voir l’ombre d’Auguste se dresser derrière sa petite-fille.

C’est pourquoi, au début de la lutte, quand Séjan n’était pas encore tout-puissant, Agrippine fit commettre des fautes à son oncle. Ce fut une faute, par exemple, de laisser poursuivre Pison et Plancine, soit qu’ils fussent innocens, soit qu’ils eussent empoisonné Germanicus par l’ordre de Livie et de Tibère. Ce fut une autre faute d’étouffer le procès commencé et de soustraire Plancine aux poursuites par une faveur qui ressemblait à un aveu de complicité. Ce fut une faute plus grave de faire nommer pontife par le sénat Néron, le fils aîné d’Agrippine, de lui permettre de briguer les charges publiques cinq ans avant l’âge, et de donner au peuple, qui chérissait la famille de Germanicus, des occasions de manifester une joie sans bornes et d’exercer sur l’empereur une pression qui devait le forcer de donner à Néron la main de sa petite-fille. Il s’en aperçut bientôt, lorsque mourut son fils Drusus. Agrippine et les Romains ne cachaient point leur satisfaction, et s’applaudissaient publiquement d’une mort qui rapprochait leur favori de la toute-puissance, c’est-à-dire de la succession de Tibère. Or rien n’était plus contraire aux résolutions du maître; rien n’était plus propre à exciter sa jalousie et sa naturelle aversion.

Agrippine, nièce de l’empereur, avait un accès libre dans son palais; elle en abusait quelquefois pour le traiter rudement. Un jour, une de ses cousines, Claudia, est traduite en justice. Elle ne se dissimule pas que c’est pour l’affaiblir elle-même qu’on attaque sa parente. Elle fait irruption chez Tibère et le trouve offrant un sacrifice devant la statue d’Auguste. Tibère était assisté par quelques personnages importans dans cet acte de solennelle hypocrisie. Agrippine s’avance. « Il n’appartient pas, dit-elle, d’immoler des victimes en l’honneur du divin Auguste à celui qui persécute ses enfans. L’esprit de ce dieu ne réside point dans de vaines images; sa véritable image, vivante, issue de son céleste sang, comprend ses dangers et se couvre d’habits de deuil. » On conçoit l’embarras de Tibère devant des remontrances aussi brusques; quoiqu’il eût de la présence d’esprit, il ne trouva rien à répondre, si ce n’est un vers grec : « si tu n’es pas la maîtresse, ma fille, tu te crois lésée. » C’est le vers que Racine a traduit et mis dans la bouche de Néron s’adressant à sa mère, la seconde Agrippine :

Ah! si vous ne régnez, vous vous plaignez toujours.

Une autre fois Agrippine est malade, de chagrin peut-être. Une