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trop abandonné la nature aux savans, enfin qu’elles ont trop préféré en général l’analyse à la synthèse.

Il y a deux sortes de problèmes en philosophie : le problème de la distinction et le problème de l’union. Ce n’est pas tout de séparer, il faut réunir. Ce n’est pas tout de dire : L’âme n’est pas le corps, Dieu n’est pas le monde; il faut encore rattacher l’âme au corps et Dieu au monde. La distinction exagérée n’a pas moins de périls que la confusion. Si l’âme et le corps n’ont rien de commun ni même d’analogue, comment peuvent-ils coexister et former un seul et même être? Si Dieu et le monde sont hors l’un de l’autre, comme une chose est en dehors d’une autre chose, comment Dieu peut-il agir sur le monde et le gouverner? Les métaphysiciens qui ne sont préoccupés que de la distinction des choses sont semblables aux politiques qui ne pensent qu’à la séparation des pouvoirs. Il faut sans doute que les pouvoirs soient séparés, c’est la condition de la liberté; mais il faut qu’ils marchent d’accord, c’est la condition de la vie et du mouvement. Or il me semble que le spiritualisme du XIXe siècle a été trop préoccupé de l’un des deux termes du problème, de la distinction, qu’il a négligé le point de vue de l’union. Il a distingué la psychologie de la physiologie, et cela était excellent. Il faut en même temps les rapprocher, c’est ce qu’il n’a pas assez fait. Il a distingué les facultés les unes des autres, mais il n’a pas assez montré leur action commune. Il a montré Dieu hors du monde et le monde hors de Dieu; il n’a pas assez montré Dieu dans le monde et le monde en Dieu.

Il n’est pas dans la nature des choses qu’une doctrine philosophique reste immobile et stagnante comme un dogme théologique. La philosophie, de même que toutes les sciences, ne prouve sa vitalité que par le développement et le progrès. L’expérience historique nous prouve que l’idée spiritualiste est susceptible de prendre les formes les plus différentes, de se concilier avec les points de vue les plus variés. L’idée spiritualiste a pu se concilier avec l’idéalisme de Platon et avec le naturalisme d’Aristote, avec le mécanisme de Descartes et le dynamisme de Leibniz, avec l’animalisme de Stahl et le vitalisme de Montpellier, avec le mysticisme de Malebranche et l’empirisme de Locke. L’idée spiritualiste, n’ayant point exclu la variété et le mouvement dans le passé, ne l’exclut pas davantage dans l’avenir. On conçoit donc aisément que, sans rien abandonner de fondamental, la pensée spiritualiste puisse se transformer et se renouveler, comme elle l’a fait déjà si souvent. On nous le demande de tous les côtés; les théologiens libéraux, tels que le P. Gratry, trouvent notre philosophie sèche et étroite, tout aussi bien que les métaphysiciens novateurs, comme M. Vacherot. Il faut bien qu’il y