Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

problème que la société elle-même poursuit depuis quatre-vingts ans, perfectionner sans détruire, conserver en transformant.

De ce double esprit naissent deux sortes de dispositions, non pas contraires, mais différentes, soit à l’égard des croyances traditionnelles, soit à l’égard des doctrines nouvelles. Les spiritualistes que j’appellerai orthodoxes, qui tendent de plus en plus à faire de leur philosophie un dogme, se trouvent par là même rapprochés de la théologie orthodoxe. Plus préoccupés des conclusions que de la liberté philosophique, ils attachent peu d’importance à la différence de méthode, et, reconnaissant dans la théologie sous des formes plus ou moins symboliques les vérités dont se compose leur credo philosophique, ils sont disposés à une alliance avec les religions positives contre ce qu’ils appellent les mauvaises doctrines. Les spiritualistes que j’appellerai libéraux sont loin d’être animés de mauvais sentimens à l’égard des religions positives : ils respectent et ils aiment la conviction partout où ils la trouvent, et ils sont loin de renier ce qu’il y a de commun dans leurs croyances personnelles et dans les croyances chrétiennes. Peut-être même seraient-ils encore plus disposés que les autres à emprunter quelque chose, mais librement, à la métaphysique chrétienne. Enfin, nés et élevés dans le christianisme, ils conservent et conserveront toujours pour cette grande religion des sentimens filiaux ; mais ils ont aussi pour la philosophie des sentimens filiaux, et ils ne sont pas disposés autant que leurs amis à mettre au service d’une puissance rivale leur liberté intellectuelle. Ils n’oublient pas que le spiritualisme philosophique a été considéré, lui aussi, par la théologie comme une mauvaise doctrine, qu’il fut un temps, encore peu éloigné de nous, où tout ce qu’on appelle rationalisme était condamné sans examen et sans distinction sous l’accusation commune de panthéisme, d’athéisme, de scepticisme et même de socialisme, où les libres penseurs, même spiritualistes, étaient livrés au mépris par une plume grossièrement éloquente, et l’on sait assez que cette même plume a toujours son encre toute prête pour recommencer à nous flétrir. Sans doute la théologie est devenue plus conciliante et plus condescendante, lorsqu’elle a vu qu’elle pouvait utiliser nos services, et que nous étions une bonne avant-garde contre des doctrines bien autrement menaçantes. Néanmoins nous ne pouvons oublier que, si nous avons avec les théologiens des croyances communes, nous avons aussi des principes absolument différens. Comme eux, nous croyons à Dieu et à l’âme ; mais pour eux la liberté de penser est un crime, pour nous c’est le droit et la vie, et nous aimons mieux l’erreur librement cherchée que la vérité servilement adoptée. En un mot, nous n’entendons pas qu’entre nos mains la philosophie