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a besoin d’être expliquée, et que le dogme n’y a jamais été systématiquement exposé et canoniquement défini, il y a là un champ vaste abandonné à la latitude des interprétations. Comme il n’y a pas de juges, chacun est juge. « Nous sommes tous prêtres, » disait Luther, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’intermédiaires entre l’homme et Dieu pour la distribution des sacremens ; de même on peut dire que dans le protestantisme tout fidèle est pape, c’est-à-dire qu’il n’y a point d’intermédiaires entre l’homme et Dieu pour l’interprétation de la doctrine. Bien souvent, dans l’église protestante, on a essayé de constituer une autorité : les synodes ont voulu jouer le rôle des conciles, les confessions de foi ont essayé de se donner pour des credo ; mais la radicale contradiction qui éclatait dans ces tentatives d’organisation doctrinale devait les faire échouer infailliblement, et malgré les résistances des dogmatiques, malgré les anathèmes de Bossuet, le protestantisme continua de donner l’exemple, si nouveau en Europe, d’une religion mobile et incessamment transformée. Néanmoins, tant que ces variations et oppositions ne se manifestaient que dans les limites du dogme lui-même, c’est-à-dire sans mettre en question le fondement surnaturel du christianisme, il y avait dans l’église protestante un fonds de doctrine commun, une unité de foi et en quelque sorte un point fixe, la divinité du Christ et la croyance à une révélation spéciale de Dieu; mais le moment est arrivé où, la liberté d’examen venant à s’étendre jusqu’à ces bases mêmes de la théologie dogmatique, s’est élevée la question de savoir si le christianisme est absolument lié à tel ou tel dogme, s’il lui est interdit de s’ouvrir aux lumières de la critique et de la philosophie modernes, et si rejeter le surnaturel du dogme, c’est abdiquer l’esprit chrétien. Les uns pensent qu’il n’y a pas de christianisme sans un dogme chrétien, c’est ce qu’on appelle le protestantisme orthodoxe; les autres pensent que le christianisme consiste dans l’esprit et dans le sentiment chrétiens et non dans un dogme déterminé, c’est le protestantisme libéral. Nous n’avons pas à intervenir ici dans la question de l’organisation et du gouvernement de l’église protestante. L’état de la question ne nous est pas assez connu pour que nous prononcions dans ce débat. A notre point de vue, nous comprendrions plutôt la séparation des deux églises qu’un partage en commun, à coups de votes, de l’église officielle. Peut-être toutefois l’état actuel de la législation ne permettrait-il pas cette séparation, et, dans l’impuissance où sont réduits les protestans libéraux par l’intolérance de la loi, je m’explique qu’ils cherchent à se faire leur part dans l’église autorisée; mais encore une fois je ne sais du débat que ce que sait le public, je ne m’intéresse qu’à la question de prin-