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guerre. Il consiste exclusivement dans la confusion et l’absorption des deux personnalités. La création ex nihilo est un mystère incompréhensible que nous ne voulons ni affirmer, ni nier : elle est en dehors de la science. L’unité de substance est un dogme obscur et vague, aussi vague que l’est elle-même la notion de substance. Cette doctrine répond à un besoin d’imagination, non de raison. On veut savoir de quelle étoffe les choses sont faites, et l’on croit que Dieu les compose avec sa substance, comme un tailleur fait un habit avec du drap, à quoi les théologiens répondent que le drap est tiré du néant; mais pour les uns et les autres il faut du drap. Nous n’affirmons ni ne nions l’unité de substance, nous ne la comprenons pas plus que la doctrine opposée. Que l’on pense là-dessus ce qu’on voudra, ce n’est pas sur ce point que la philosophie spiritualiste veut engager ses destinées.

Je vais plus loin : ce n’est pas tout de distinguer le sujet humain et le sujet divin, le moi absolu et le moi fini; il faut les unir. Ici encore, je ne connais aucune mesure qui permette de fixer le degré d’union en-deçà ou au-delà duquel on sera ou l’on ne sera pas panthéiste. La distinction des deux sujets est le seul point fondamental; quant à la participation de l’un et de l’autre (selon l’expression de Platon), vous pouvez la supposer aussi intime qu’il vous plaira, pourvu qu’elle n’aille pas jusqu’à l’absorption. Et comment pourrions-nous savoir, à moins d’être Dieu lui-même, jusqu’à quel point le sujet fini et le sujet infini peuvent se pénétrer sans se confondre? Le faible du déisme philosophique, c’est de concevoir Dieu comme une chose séparée, en dehors du moi, en dehors du monde. Le fort du panthéisme est de concevoir Dieu comme en dedans du monde. Deus est in nobis ; in Deo vivimus. Dieu est en nous, et nous sommes en Dieu. C’est cette intériorité de Dieu dans le moi qui fait la force du panthéisme, et c’est là l’essence de toute religion. Le rite par excellence, c’est la communion, l’eucharistie; c’est le symbole le plus pur de l’intériorité divine mêlée à l’intériorité de l’esprit. Le dogme chrétien de l’incarnation est encore un admirable symbole de l’union du fini et de l’infini : c’est le divin mariage des deux personnalités. « Le procès de la transcendance et de l’immanence touche à la fin, » dit M. Littré. Il a raison ; l’une et l’autre sont la vérité : Dieu est à la fois et en nous et hors de nous.

Quoi qu’il en soit de ces vues théoriques, revendiquons pour Maine de Biran et pour le spiritualisme français de notre siècle l’honneur d’avoir apporté à la philosophie une idée vivante et nouvelle, l’idée de la personnalité humaine. Cette idée, il faut en convenir, n’était pas une des idées dominantes de la philosophie du XVIIe siècle. Elle est dans Descartes, je le reconnais, mais à quel