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rieur, que j’en eusse conscience, et par conséquent qu’elle cessât de m’être extérieure.

Peut-être Ampère est-il bien sévère pour la théorie de Reid, qui peut s’entendre dans un bon sens. Lorsqu’on discute pour savoir si la perception des sens est immédiate et directe, ou si elle a lieu par des intermédiaires (discussion qui a eu une si grande importance dans l’école de Royer-Collard), on peut bien accorder que nous ne percevons pas la chose en elle-même et intérieurement, tout en soutenant qu’elle n’a pas lieu non plus par intermédiaires ou par images représentatives, ce qui était le principal objet de la polémique de Reid. On peut dire que les phénomènes par lesquels se manifeste la chose externe sont des signes qui nous suggèrent immédiatement l’affirmation de son existence. La perception immédiate des Écossais devrait donc s’entendre dans le sens d’une suggestion immédiate, et il n’y aurait pas alors une très grande différence entre la théorie de Reid et celle d’Ampère lui-même. Quoi qu’il en soit, il suit évidemment de ce qui précède qu’il est de l’essence d’une chose extérieure de n’être connue que par les phénomènes qui la manifestent, et par conséquent de n’être atteinte que par induction, soit immédiate et directe, soit médiate et discursive.

Si nous passons maintenant à l’être qui se connaît lui-même, on peut se demander d’abord s’il existe un tel être; mais la réponse est donnée dans la question même, car celui qui demande cela sait bien qu’il le demande, il sait donc qu’il pense, il sait donc qu’il est. Voilà le principe fondamental de toute philosophie, comme l’a vu si bien Descartes, qui pourtant n’en a pas aperçu toutes les conséquences. Un être qui se connaît soi-même se connaît-il de la même manière que les choses externes, à savoir par des manifestations, par des apparences derrière lesquelles il y aurait une inconnue, un x, supposé et conclu par une induction soit directe, soit discursive, comme pour les choses externes? Dans cette hypothèse, le sujet pensant serait à lui-même une chose externe : il se verrait en dehors de soi. Ce serait en quelque sorte le moi de Sosie, un moi objectif, un moi qui ne serait pas moi. Comment, dans une suite de phénomènes, pourrais-je dire que ces phénomènes sont miens, que ma douleur est mienne, que ma passion est mienne, que mon plaisir est mien, si je n’étais pas intérieurement présent à chacun de ces phénomènes, à cette douleur, à cette passion, à ce plaisir? Comment pourrais-je me les attribuer, me les imputer, si je me voyais du dehors au lieu de me voir du dedans, si, en un mot, dans la conscience du phénomène qui m’affecte n’était impliquée d’une manière indissoluble la conscience même de l’être affecté? De plus