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la décision qu’ils allaient prendre, je me trouvais complètement désintéressé. Une forte dose d’opium ne m’aurait pas rendu plus indifférent, plus étranger à mon propre sort. Stuart Lane et Deadly Dash lui-même s’étaient simultanément levés. En face des vainqueurs appelés à décider en dernier ressort ce qui allait advenir d’eux, ils se tenaient debout, avec une insouciance, une sérénité parfaites. Toute trace de souffrance avait pour le moment disparu de leur visage. Ils me rappelaient le fauve aux abois dont le sang s’écoule par vingt blessures ouvertes, et qui porte les souillures d’une longue chasse, mais n’en fait pas moins face aux limiers, et, s’acharnant dans sa résistance désespérée, semble vouloir mourir sans avoir faibli.

La sentence fut bientôt rendue. Sept d’entre nous devaient être ramenés sous pavillon parlementaire au plus prochain quartier confédéré pour être échangés contre pareil nombre d’officiers fédéraux dont on voulait racheter la liberté. Dix autres seraient envoyés dans les prisons du nord ; trois enfin, pour satisfaire aux représailles dont j’ai parlé, seraient fusillés au point du jour. Toutes ces chances allaient être immédiatement réglées par voie de tirage au sort. Les Virginiens ne firent pas entendre le moindre murmure. L’Anglais qui les commandait ne laissa pas un muscle de son visage trahir la moindre émotion. Tous écoutèrent avec une altière impassibilité cette sentence qui condamnait quelques-uns d’entre eux à périr, victimes d’un coup de dé, pour un crime dont ils étaient innocens. La vie devenue un enjeu, la mort prise pour croupier, tout cela ne les étonnait pas autrement.

Je m’étonnai, moi, de voir le général et les officiers qui l’accompagnaient assister par curiosité à cette bizarre partie de rouge ou noire. Peut-être voulaient-ils s’assurer que tout se passait loyalement, peut-être aussi cherchaient-ils dans ce spectacle, après tout assez exceptionnel, une distraction aux ennuis de la longue soirée qu’ils allaient avoir à passer au milieu de fermes incendiées et de labours dévastés. Vingt petits carrés de papier sur lesquels étaient tracés les mots d’échange, de prison et de mort furent pliés et jetés pêle-mêle dans une cantine vide. Je crois avoir dit que nous étions vingt. Par le fait nous étions vingt et un, mais on m’avait mis à part, comme officier de l’armée anglaise, nonobstant les réclamations que j’essayais de faire entendre, et dont on me parut décidé à ne tenir aucun compte, soit qu’on se réservât d’invoquer ma conduite comme un grief contre le gouvernement de mon pays, soit au contraire qu’on voulût faire montre envers la Grande-Bretagne des ménagemens les plus courtois. Ceci, je n’ai jamais pu le tirer au clair, et j’incline à penser que le général dans les mains