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Un recueil anglais constatait dernièrement que de l’autre côté du détroit l’abondance des capitaux disponibles et l’escompte à 2 pour 100 coïncidaient avec la baisse d’un grand nombre de valeurs publiques. Il en est de même chez nous; si l’on parcourt la cote des valeurs de la Bourse, on constate que beaucoup sont en baisse sur les cours qu’elles ont eus, lorsque l’argent était plus rare et plus cher. Prenons la rente pour exemple. Peut-on dire qu’il n’y a pas une contradiction manifeste à trouver d’un côté 1 milliard d’encaisse à la Banque de France et à voir de l’autre la rente, cotée à 69, rapporter près de 4 1/2 pour 100, alors qu’elle a été à 84, et que sous l’empire même, à la veille de la guerre d’Italie, elle était encore à 75. Les obligations de chemins de fer garanties par l’état et par les revenus des compagnies, ayant une prime de remboursement considérable, se placent encore à près de 5 pour 100; d’autres valeurs parfaitement assurées rapportent 5 1/2 et 6 pour 100, et, quant à celles qui sont douteuses, on n’en veut, pour ainsi dire, à aucun prix. Ce sont là des symptômes significatifs de la défiance des capitaux. On a dit que le capital était en grève; cela est vrai, mais c’est une grève d’une espèce particulière. Elle n’a pas pour but, comme dans les autres cas, de rechercher une rémunération plus large. Au contraire, ce que le capital fuit en ce moment, ce sont les gros profits. Il ne recherche qu’une chose, la sécurité, et jusqu’à ce qu’il l’ait, ou qu’il croie l’avoir, il préfère rester inactif absolument et se contenter d’un intérêt minime de 2 pour 100 pour un engagement très court. En attendant, les épargnes ne se produisent plus, et nous sommes comme un propriétaire qui vit sur son capital.

M. le ministre des finances, dans le document dont nous parlions tout à l’heure, disait qu’on pouvait reconnaître à d’autres indices (que ceux de l’encaisse de la Banque) que l’épargne disponible était considérable. Nous ne savons pas où il prenait ces indices, car le commerce extérieur reste inactif, et les revenus indirects du premier semestre de 1868 ne produisent même pas ce qu’ils ont produit l’année dernière, qui était déjà une mauvaise année; nous ajouterons quelque chose de plus : nous savons de bonne source que les versemens aux caisses d’épargne, qui pendant le cours de 1867 étaient encore en progrès, sont depuis le commencement de cette année en diminution, les retraits dominent les dépôts. C’est là un symptôme grave et qui doit appeler l’attention sérieuse du gouvernement. On peut bien rester indifférent dans une certaine mesure aux pertes qu’ont subies à la Bourse les spéculateurs, au milliard et demi qui est allé s’engloutir dans des affaires désastreuses : ces désastres, quelque grands qu’ils soient, ne pénètrent