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tout ce qui lui plaît, car il est en même temps délivré du péché. Il ne peut mal faire, puisqu’il est uni à celui qui est le type de toute perfection. Quiconque est arrivé à cet état peut, selon une parole assez remarquable de Noyes, se confier à Dieu pour la moralité. Il a raconté lui-même que, lorsque cette pensée lui fut venue et qu’il se crut arrivé à cet état de réconciliation, il essaya de se livrer aux tentations de la sensualité pour éprouver le degré de confiance qu’il pouvait avoir en Dieu, et que l’expérience lui démontra que cette confiance devait être entière. Puisque dans l’état de perfection le chrétien ne peut pécher, il n’a donc rien à redouter des mouvemens de sa volonté et des sollicitations de son cœur, et, lorsqu’il se sent entraîné vers une autre créature, il doit tenir pour certain que sa passion est autorisée par Dieu.

La conséquence de cette théorie, c’est que la communauté des femmes et le libre amour ne sont possibles et légitimes que dans une société dont les membres se sont élevés au-dessus de la tentation et du désir d’y céder. Voilà donc une première et très forte garantie contre la promiscuité, qui semblerait devoir être le fruit de cette doctrine; mais il y en a bien d’autres, et le libre amour est entouré de tant de précautions que l’amour esclave de nos sociétés est indépendant en comparaison. Chacun des membres de la société est soumis au contrôle de tous ses frères. Ses actes doivent être d’accord avec le vœu général de la communauté. Si les frères décident que le mouvement passionné qui entraîne l’individu n’est pas autorisé par l’état de grâce, il est obligé de se soumettre au vœu général, sagace précaution et qui doit certainement prévenir tout désordre, car on peut se fier sans crainte à la malveillance instinctive même des saints pour empêcher que leurs frères ne soient heureux plus que de raison. En second lieu, la personne sollicitée est toujours libre de refuser, et elle peut le faire d’autant plus aisément que la sollicitation a lieu par-devant témoins. Tout est public dans cette singulière société, et la conduite de chacun est soumise à une enquête sévère qui se fait dans des réunions générales. « J’étais présent à une de ces réunions, dit M. Dixon, lorsque Sidney Joslyn, fils de la poétesse d’Oneida Creek, fut soumis à une enquête publique. Le frère Pitt ouvrit la marche, décrivit le jeune homme intellectuellement et moralement, notant avec une bienveillance apparente, mais aussi avec une franchise étonnante, toutes les mauvaises choses qu’il avait remarquées en Sidney, sa paresse, sa sensualité, son amour de la toilette et du paraître, son impertinence de discours, son manque de révérence. Le père Noyes, le père Hamilton et le frère Bolles succédèrent à Pitt avec des observations presque aussi sévères; vint ensuite sœur Joslyn, la mère du coupable, qui n’épargna pas les verges, puis se levèrent la mère Dunn et une nuée de