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cautions, quelles applications de principes John Noyes est-il parvenu à faire prospérer sa communauté?

John Noyes n’est pas un grand penseur, comme M. Dixon semble avoir une tendance à le croire; mais c’est à coup sûr un homme ingénieux et prudent. Ce rêveur est bien de son pays, c’est-à-dire qu’il a le génie des combinaisons pratiques et le sentiment de l’importance des détails. En premier lieu, il a prudemment restreint l’application. de son système à un très petit nombre de personnes. Oneida Creek, qui est le plus important des quatre établissemens fondés par lui, ne compte pas plus de trois cents membres. « Des demandes d’admission, nous dit M. Dixon, sont refusées chaque jour. Trois ou quatre sollicitations furent refusées pendant que je logeais à Oneida Creek, le système de vie qui y est pratiqué étant simplement expérimental. » Nous avons tous l’expérience de la vie conventuelle, et je crois qu’il est peu d’utopies qui ne puissent être absolument réalisées lorsque le nombre des adhérens est soigneusement limité. Cependant. ce n’est là qu’une des causes secondaires du succès de cette expérience, dont le secret veut être cherché plus haut. Ce secret, c’est que John Noyes a eu le bon esprit, au contraire de tous les utopistes, de ne pas rompre avec la tradition du passé et de donner à son rêve non la forme d’un système personnel, mais celle d’une hérésie, c’est-à-dire d’une interprétation particulière d’une croyance commune à tous. « Je dois vous l’apprendre, me disait le père Noyes ce matin, ils ont tous échoué parce qu’ils ne fondaient pas leur doctrine sur la vérité biblique. La religion est la racine de la vie, et une saine théorie sociale doit toujours exprimer une vérité religieuse. Il y a quatre degrés dans la véritable organisation d’une famille : 1° la réconciliation avec Dieu, 2° le rachat du péché, 3° la fraternité de l’homme et de la femme, 4° la communauté du travail et de ses fruits. Owen, Ripley, Fourier, Cabet, commencèrent par les troisième et quatrième degrés. Ils laissèrent Dieu hors de leur système, et ils n’arrivèrent à rien. » Cet utopiste a touché à la vraie racine des choses, à celle qui peut donner vie et vigueur à la branche la plus parasite, si elle croît sur le passage de sa sève. Ce libre amour, que d’autres utopistes ont présenté comme un droit naturel de l’homme, John Noyes a eu le très bon esprit de voir qu’il n’était possible, supportable et conforme à la morale et à la dignité humaines que dans la vie chrétienne, parce que l’homme a dans la vie chrétienne une garantie contre lui-même qu’il n’a pas dans l’état païen de nature. Le perfectionniste s’appuie simplement sur une exagération de cette parole de Jésus : « je suis venu pour vous délivrer de la loi. » Celui qui croit en Jésus de toute la force de son âme est donc libre de toute loi et peut faire